Samedi 3 mai - 15h00
Départ d'un des nombreux BRM (Brevets de Randonneurs Mondiaux) organisés par Jean-Philippe Battu, de l'ACP (Audax Club Parisien) et ADF (Amicale des Diagonalistes de France), au départ de la place de Sfax à Grenoble.
Au programme : 408 km à couvrir, via les cols du Fau, de la Croix Haute, la vallée du Buëch, Sisteron, la vallée du Jabron avec en apogée les cols de la Pigière et de Macuègne au-dessus de Montbrun-les-Bains, puis les gorges du Toulourenc dominées par le petit col d'Autan, suivi du col de Peyruergue peu après St Auban-sur-Ouvèze. Ensuite, une fois la vallée de l'Ouvèze laissée, le col de Sausse en point d'orgue au Défilé de Trente-Pas, puis passage à Bourdeaux afin d'aller chercher le col de Lunel dont la descente amène à Crest. De là, barre au nord-est en direction du Sud-Grésivaudan, à travers les collines du pays de Royans. Et enfin, la Voie Verte pour le retour sur Grenoble, au plus tard à 18h00 le dimanche 4 mai, pour que ce BRM puisse être validé. Dénivelé positif total : 3800 m, ce qui ne présente pas un ratio très inquiétant.
Un itinéraire simple, facile à mémoriser, et qui m'a séduite d'emblée. Jean-Philippe a choisi de le nommer 'Voyage au bout de la nuit en Drôme provençale'. Etant donné mes penchants littéraires, un tel nom ne pouvait que m'enthousiasmer - heureusement, nulle trace de la folle absurdité célinienne sur les routes empruntées, non plus que de sa noirceur.
Pourtant, d'aucuns penseront qu'aligner 400 bornes, en continu et avec la nuit au milieu, est un brin démesuré, mais rien que d'ordinaire pour les nombreux et aguerris BRMistes qui prirent le départ de ce Brevet - les quelques semaines auparavant, beaucoup avaient bouclé sans dommage les BRM 200 et 300 traçés par Jean-Philippe. Sur les 53 que nous étions au départ, aucune défection n'a été enregistrée - preuve qu'un 400 est une distance très raisonnable !
Nous n'étions qu'une poignée à ne pas avoir suivi le cursus préparatoire de mise - un nouveau venu aux BRM, un autre qui n'avait jamais roulé de nuit, et moi qui n'avais pas encore réalisé de sortie vélo supérieure à 140 km depuis le début de saison. Certes, les 100 derniers km ont été moins faciles que les précédents, en ce qui me concerne, mais j'ai bouclé le BRM sans encombre. De toute façon, le délai imparti permet de gérer facilement la distance, l'état de forme, l'alimentation et le sommeil.
Côté météo, nous nous en sommes plutôt bien sortis ! Le vent du nord nous a poussés fort sur les pentes initiales. Et le brouillard du col de la Croix Haute a prêté une note quelque peu sauvage à notre ascension la plus longue. Et la pluie qui nous attendait dans la descente nous a fait d'autant mieux apprécier le soleil et la chaleur de fin d'après-midi qui baignaient la vallée du Buëch - de purs moments extatiques sur le vélo ! La soirée fut chaude, la nuit tempérée, et pas de froid matinal intense en raison de la couverture nuageuse. Certes peu de ciel bleu et beaucoup de vent de face après Crest, mais du soleil pour accompagner nos derniers kilomètres sur la Voie Verte, en début d'après-midi.
A l'inverse de l'oeuvre éponyme de Céline, ce 'Voyage au bout de la nuit' me laisse un goût de bonheur intense et enivrant ! Rouler au creux de la nuit, seule la plupart du temps, dans la vallée du Jabron, ou les gorges du Toulourenc, puis sur les routes des Baronnies, fut source de plénitude, malgré le froid cinglant ressenti dans la descente sur Montbrun, l'envie irrépréssible de dormir - qui m'a contrainte à faire une halte de 1h30 sur les dalles froides du lavoir de Condorcet, ou l'impatience à rejoindre le sommet du Défilé de Trente-Pas. La liberté éprouvée alors, ainsi que l'évidence à être là où je devais être, fut incomparable.
Dans un tel environnement, tous les sens sont en éveil - le regard perçoit les masses et leur densité, devine le ruban de la route qui descend, capte les éclats des yeux des bêtes tapies dans l'obscurité, s'accroche au croissant de la lune descendante - seule source de lumière. L'ouîe s'aiguise aux bruits des mouvements brusques dans les fourrés et les taillis, aux cris des oiseaux ou coassements des crapauds, au murmure des cours d'eaux, enregistre chaque inflexion du souffle du vent dans les gorges, aux frondaisons des arbres, et est comme transperçée par les aboiements des chiens de ferme ou de village - et parfois, luxe suprême, envoûtée par le chuintement des pneus d'un vélo ami sur le macadam. L'odorat, quant à lui, devient un enchantement dans ces contrées délaissées par la circulation automobile, en saison printanière. Pédaler 'nez au vent' et les yeux perdus dans l'obscurité devient alors le plus beau des rituels de liberté.
La richesse de ces BRM est aussi et surtout humaine ! Les rencontres se sont égrenées tout au long des 400 km, et se sont colorées de toutes les nuances de la joie. Souvent très courtes, telles celles de Baptiste, de Franco, de Valex, de Christophe, de Pierre, et bien sûr celle de Brigitte, que je connaissais déjà et qui était la raison déclenchante de ma présence sur ce 400 km, tous du Team Mont Ventoux. Parfois un peu plus longues, comme celle du trio des futurs participants au Bordeaux-Paris 2014, entre Montfroc et Noyer sous Jabron - Patrick, Gigi, et 'l'homme en bleu', à la pédalée facile.
Occasionnellement, des rencontres totalement improbables, comme celles de ces jeunes gens dans les gorges du Toulourenc - un conducteur curieux de cette procession de lumières qu'il venait de croiser, ou bien encore ce jeune homme venu 'tailler la bavette' alors que je tentais de changer ma batterie de lampe Hope, sous un lampadaire bienvenu à Aulan - et qui s'émerveillait du spectacle inhabituel de ces nombreuses lumières qu'il voyait monter, dans le silence le plus total, comprenant tout de suite qu'il s'agissait d'une forme de liberté personnelle, et que cette liberté-là il pourrait bien la revendiquer un jour ou l'autre.
Ou bien encore ces rencontres fugitives marquées du signe de l'essouflement - celle du duo de 'l'homme couché' et de son copain du Vercors, dans les premières pentes du Peyruergue. Ou celle d'un autre duo, au sortir de mon heure de sommeil à Condorcet - compagnons des premiers hectomètres du col de Sausse, l'un d'eux plus costaud et soucieux de la progression malaisée de son copain, et dont je n'ai même pas aperçu les visages, le trio que nous formions étant celui du souffle et de l'effort, reliés par nos lumières vacillantes dans la montée.
Puis en fin de nuit, juste avant les premières lueurs du jour, survint la rencontre avec Alain, accompagné de Jean-Philippe puis de Christian et Aurélie, au terme d'un CLM appuyé d'une bonne dizaine de kilomètres que je m'auto-imposai, afin de les rejoindre un peu avant le contrôle de Bourdeaux - probablement que je commençais à avoir hâte de tourner la page de ma solitude nocturne ! Et la conversation peu languissante d'Alain me tint éveillée et alerte jusqu'à Crest où, miracle, un café rempli de monde était ouvert en centre ville - incroyable pour un dimanche matin à 6h30 !
Là nous retrouvions notre BRMiste néophyte, puis arriva Jean-Philippe, pas fatigué pour deux sous puisqu'il ne s'attarda que quelques minutes. Plus tard, ce fut au tour de Nicolas et Eric de nous rejoindre - ah ces moments de partage à nuls autres pareils, au sortir de la nuit ! Tant et si bien que je restais une heure et demie dans ce café - j'ai même prolongé ma halte après avoir pris en photo mes trois compagnons sur le départ.
Je voulais goûter au moment, savais que les 100 km restant allaient être éprouvants au vu de mon manque d'entrainement, mais que de toute façon je les ferai. Dans la salle de café, c'était ambiance rallye automobile, sur la route menant à Chabeuil également d'ailleurs ! J'ai bien aimé le ronflement de ces bolides qui me dépassaient à toute allure - cette fois il s'agissait d'une rencontre d'un autre type !
Une vingtaine de kilomètres plus loin, je rattrapais Alain, Nicolas et Eric et nous allièrent nos forces déclinantes et fluctuantes pour faire front. Enfin à l'entrée de la Voie Verte, l'occasion d'un nouvel arrêt, Jean Michel étant allongé dans l'herbe, nous fûmes rejoints par Christian, Aurélie et Jean-Philippe, et avons ensuite roulé de concert, Christian et moi émaillant la progression du groupe d'éclats de fatigue retentissants ! Mais Jean-Philippe veillait au grain, et nous a tous ramenés à bon port, devant la boîte aux lettres BRM de Grenoble. La boucle était bouclée !
Notre groupe de joyeux finisseurs devant la boîte aux lettres BRM ! Et le rituel du thé/gâteaux maison instauré par Jean-Philippe !
Quelques moments sur le BRM 400
Mais cette narration de mon ressenti serait tronquée si je n'ajoutais quelques mots à propos de la rencontre de Jean-Philippe Battu ! Je le connaissais 'virtuellement' depuis plusieurs années, suite à mon PBP 2007, et ma diagonale Strasbourg-Perpignan, mais je l'ai enfin rencontré en chair et en os à l'occasion de son BRM 400. Et ce fut sûrement ma plus grande source de joie de tout ce weekend des 4 et 5 mai ! Jean-Philippe est d'une générosité folle, d'une rare humilité, et d'une honnêteté plus rare encore, avide de faire partager sa passion du vélo longue distance et donnant sans compter pour cela - ce fut un privilège immense que de passer la soirée chez lui, à deviser à perte de vue de BRM, diagonales et de PBP, et de me régaler de ses plats faits maison.
Ces heures-là ont donné une luminosité incroyable à ce qui fut un de mes plus beaux 'voyages au bout de la nuit'. Tellement merci à toi, Jean-Philippe !
NB : évidemment, mon Garmin 800 n'a pas tenu la durée du 400…Avons rallié la boîte aux lettres à 14h10, je crois, et j'ai dû cumuler autour de 5h15 d'arrêt au total - donc il m'a fallu environ 18h00 de pédalage pour venir à bout des 408 km.
Les photos prises par Jean-Philippe et la carte de route