Depuis l'année dernière, mon regard avait été attiré à maintes reprises par ces balises postées un peu partout sur les chemins et sentiers du Beaujolais. Durant l'hiver, je googlise la chose : une trace gpx sur Uttagawa, pas très aboutie. L'idée est ensemencée, laissée à germer et à maturer. Arrive juillet, le temps de la récolte : André trouve la trace complète à télécharger en ligne. Bingo : et si nous faisions cette GTR VTT en préparation à la Bohemia Divide, tellement facile à organiser en écomobilité car pratiquemment à la porte de chez moi ? Faire simple au lieu d'aller chercher midi à quatorze heures, pour une fois. Cela tilte pour tous les deux, immédiatement.
Le principe est alléchant : traverser le département du Rhône, du nord au sud, de Romanèche-Thorins à Condrieu, d'une région de vignobles à une autre, du Beaujolais aux Côtes Roties.
En passant par tout ce qui monte et descend, et en zappant tout ce qui ressemble à du plat : le mont Brouilly en guise d'intro décoiffante, la montée harassante sur la ferme Sainte Marie puis le col de la Croix Montmain, les cols du Beaujolais vert jamais pareils à ce qu'ils paraissent être, les coups de cul assassins des Pierres dorées, les montées à répétition du pays de l'Arbresle en transition avec la longue montée jusqu'au col de la Luère puis les crêtes des monts du Lyonnais jusqu'à Yzeron et St Martin en Haut. S'ensuivent les montagnes russes du Jarez, puis les piqués tétanisants au fin fond des vals et vallons du Pays de Gier. Enfin, les reliefs apaisants des contreforts du Pilat avec vue sur la vallée du Rhône et les Alpes, suivis des côteaux abrupts et géométrisants de Condrieu et le débouché sur les berges du Rhône.
La Grande Traversée du Rhône VTT est un superbe parcours de petite et moyenne montagne, loin des envolées éthérées et enivrantes de la haute-montagne. N'empêche que la GTR offre une belle diversité de sensations et d'émotions aux vététistes épris de nature. Du déjà-vu en fond de tableau, surtout pour la beaujolaise que je suis, réhaussé et intensifié par une bande passante de nouveautés incessantes au premier plan. Comme toujours, l'écho transposé des vers de Verlaine me parcourt en recevant cette nature "...que j'aime, et qui m'aime, Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même, Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend." La beauté de cette Traversée m'a plongée dans la douceur et la permanence de l'émerveillement. Re-découvrir ce qui me fait vibrer plus que de raison, le regarder d'un oeil neuf, me mirer en son sein et m'y fondre, le ressentir dans chaque fibre de mon corps, laisser l'énergie me parcourir encore et encore......Rouler ces chemins et sentiers entre les arbres, les champs, les prés, les maisons, ou le long des ruisseaux et rivières, fut un acte d'amour pour ma Terre : la GTR m'a permis cela, sous un soleil radieux, avant que je ne m'éloigne de ma terre natale. Gratitude.
Le résumé photographique de notre traversée du Rhône
La GTR est annoncée comme longue de 230 km, avec un dénivelé positif de 6000 m. A titre indicatif, le kilométrage que nous avons enregistré est de 240 km, et le deniv + aux alentours de 7200 m. Ces chiffres ne disent pas la difficulté de la GTR, qui réside dans la nature du sol : cailloux et pierres instables ou en parterre pavé malaisé, chemins ravinés à outrance par les orages et qui se cabrent souvent, le terrain rugueux et peu souple la plupart du temps...il faut avoir acquis de l'endurance vététiste avant de se lancer. Méfiance : le site FFC indique un niveau trompeur de difficulté de 2 sur 5.
Le temps nécessaire à la complétion de la Traversée est indiqué comme étant de 4 à 8 jours. A titre indicatif toujours, il nous a fallu 6 demi-journées consécutives étalées sur 4 jours (départ et arrivée en mi-journée), soit trois journées de 10h00 de pédalage chacune, en mode bikepacking - nos spads chargés pèsent entre 17 et 20 kg selon l'approvisionnement emporté, et nous avons bivouaqué chacune des trois nuits. Nous avions conçu notre Traversée comme un entrainement à une course vtt bikepacking que nous projetons de faire en République tchèque, la Bohemia Divide. Il y a bien sûr d'autres façons de réaliser ce périple, à chacun de trouver sa recette.
Le suivi sur le terrain est facile : le balisage est absolument exemplaire et la GTR doit pouvoir se faire sans GPS. Le mieux est cependant de télécharger la trace et d'en suivre le déroulé in situ, cela permet d'anticiper et de minimiser les risques d'erreurs.
Notre découpage en six demi-journées, fruit de l'imprévu faisant totalement sens à postériori, correspond à six sections différentes, toutes à l'identité bien marquée, tant au niveau des paysages et des habitats que du terrain. La trace effectuée dans son entier peut être consultée sur le compte Strava de André. Quant à la trace effectuée et divisée en sections vous la trouverez sur mon compte Komoot : section #1 ; sections #2 et #3 ; sections #4 et #5 ; section #6.
Les moments magiques
Le film de mes impressions de cette GTR, en partie déroulé dans l'introduction, ne serait pas complet si je n'y ajoutais le bonheur des rencontres.
Surtout celle de nos 'trail angels'. Dimanche fin d'après-midi nous étions à la recherche d'eau depuis un certain temps. Nous étions peu enclins à déranger les propriétaires de maisons particulères, retranchés à l'abri de leur portail et mûrs pleins et souvent des aboiements de leur chien. Enfin, j'avise une maison bien différente des autres, ouverte et rieuse, entourée d'un jardin charmant, et bordée d'un chemin à l'accès libre. Dans le pré au-dessus de la maison, une femme s'occupe de ses poules, son mari est sur la terrasse où la table est dressée pour le diner. Bien sûr qu'ils peuvent nous donner de l'eau du robinet. Elle nous remplit gourdes et vaches à eau en un clin d'oeil, lui s'intéresse à notre système de transmission Rohloff, il est cycliste sur route....bientôt nous devisons tous les quatre amicalement, et sommes invités à boire un panach' sur la terrasse, la conversation va bon train. Nous repartons gonflés à bloc par nos anges du voyage, les Barberet de la Grange Bodet. Merci de savoir encore accueillir les inconnus de passage...j'ai de plus en plus le sentiment que cette capacité à s'ouvrir aux autres devient monnaie peu courante dans nos campagnes proches des grands centres urbains - il n'y a qu'à regarder ces rangées de maisons particulières qui toutes affichent les mêmes ingrédients de ce qui nous est vendu comme la recette du bonheur. Mais ceci est un autre sujet....
Et aussi notre 'revoyure' avec le jeune patron du café restaurant Le Trait d'union à Sainte Catherine, toujours aussi affable, amical et diligent que lors de notre périple de reconnaissance des 7 Mineurs Gravel. Note allègre : chaque halte dans son établissement a marqué la fin d'un épisode de malaise cycliste personnel sur les chemins. Et puis il y a cet ajout de sens conféré par le nom de son établissement. J'adore ces connexions qui s'établissent dans ma vie, au-delà du rationnel, et ces repères que je marque au gré de mes périples vélo sur la merveilleuse carte de l'humain, les seuls waypoints importants en ce qui me concerne. Je ne connais pas son nom à ce jeune propriétaire du Trait d'union, n'empêche qu'il est comme un jalon sur ma route.
Tout film a sa part d'ombre, ou de jeu entre obscurité et lumière. Celui de ma Grande Traversée du Rhône aussi bien sûr. Je sais très bien donner libre cours aux ronchonneries et autres marques d'un esprit négatif. C'est même parfois un état dans lequel je me complais. Autant dire qu'alors André a intérêt à prendre les devants, et grimper les côtes à son allure vive sans m'attendre....un temps de solitude est toujours la meilleure des échappées pour moi, le mal-aise disparait très vite. Ce fut le cas dans le Jarez, entre St Martin-en-Haut et Sainte Catherine. Je ne sais trop ce qui s'empare de moi dans le Jarez, mais le même phénomène se reproduit invariablement, cette sensation d'y étouffer et le désir de vouloir en sortir au plus vite. Pourtant la campagne y est sereine, collines arrondies, bois, culture du maïs et élevage bovin, volailles, grandes fermes et granges, étables et tracteurs, rivières et ruisseaux : le tableau est charmant. Alors ? Peut-être le manque d'horizon ? Les creux de ce paysage seraient-ils nécessaires à mettre en lumière la joie ressentie à évoluer ailleurs ? Tout n'est que fil qui nous délie et nous relie à l'essentiel de notre être...
Que je ne taise pas non plus la colère éprouvée dans les deux ou trois descentes et montées abrutissantes entre St Maurice sur Dagoire et St André la Côte (section#5).....je ne trouve pas d'autres mots que ceux-ci : totally insane ! Surtout avec un vélo chargé de bagages. La colère a ceci de bon qu'elle nous fournit de l'adrénaline, j'ai pu ainsi trouver l'énergie nécessaire à venir à bout de ce tronçon, en début de soirée, malgré la faim qui me tenaillait. L'endroit est beau, j'ai adoré les murs de pierre noire qui sillonnent la campagne, comme un air d'Ecosse, je me serais bien attardée sur le plateau à humer l'air du soir, et à profiter du panorama, chaque descente au fond du trou était une épreuve supplémentaire - no more fun ! Cela arrive, cela fait partie de toute échappée au long cours, et je sais depuis bien longtemps que toujours je reviens au meilleur de moi-même, de ce qui fait ma joie et ma facilité à être...là encore, le jeu épatant de l'ombre et de la lumière.
Et puis bien sûr, mon film de cette Traversée du Rhône ne peut se comprendre sans ce qui unit notre duo à André et moi. Une fois encore, merci mon André.
La vie à vélo est si belle !
So long, my beautiful friends.
A voir absolument : le compte-rendu par S. Lamotte de l'équipée sauvage de 10 copains vététistes sur la GTR, fin juin 2019.
Notre duo, dans le train vers Romanèche et à l'arrivée.