Ici commence le récit contant mon aventure de la French Divide 2017, jour après jour.
Il épouse la forme littéraire du journal de bord, voire celle du journal intime, mais à l'exception de quelques lignes notées les premiers jours sur ma page Facebook initialement dédiée au suivi de ma progression sur la French Divide, tous les récits quotidiens ont été écrits après coup.
Après quelques jours et mille kilomètres, ma French Divide est devenue notre French Divide, la mienne et celle d'André. Néanmoins, dans cet article, cette aventure étant relatée de mon point de vue, avec mes mots, vous en apprendrez davantage sur ma French Divide que sur celle d'André, dont la narration orale sera publiée sur Pérégrinations ultérieurement. En effet, à partir du sixième jour sur les chemins de la French Divide, je suis entrée dans une autre réalité, incompatible avec la réalité connectée. Seule importa alors cette urgence ressentie à avancer, si essentielle qu'elle me constitua toute entière, et que j'émigrai au plus profond et vivant de moi-même, tandis que je m'emplissais de l'énergie de la nature traversée.
Alors, quel est mon point de vue ? Celui d'une passionnée de vélo depuis vingt ans, et depuis l'âge de quarante ans. Qui a été tentée par presque toutes les pratiques cyclistes, et les a poursuivies avec plus ou moins de bonheur. Venue au VTT tardivement, j'ai été séduite d'emblée par la pratique 'gravel' il y a un an et demi. Quant au bikepacking off road, il habitait mes rêves depuis les premières éditions de la Tour Divide : la French Divide 2017 fut mon coup d'essai.
Un coup d'essai transformé au-delà de mes espérances. Je n'en tire aucune gloire ou orgueil, mais une grande fierté. Je sais que la French Divide a profondément modifié le cours de mes certitudes. Elle est cette expérience qui change la vie et que je cherchais avec tant d'ardeur.
Le très long récit qui suit, tissé de mémoire, est né du besoin d'écriture qui me constitue depuis très longtemps. Et du besoin de donner une dimension à part à cette aventure peu ordinaire de la French Divide.
Jour 1 - Samedi 5 août : le nord, entre Manche et Scarpe-Escaut, en passant par les Monts des Flandriennes et les pavés de Paris-Roubaix
De Bray-Dunes à Raucourt-au-Bois : 246 km et 1300 m déniv+, 13h30 de pédalage. De 6h24 à 23h30.
Enfin partis ! Parce que, mine de rien, il faisait vraiment pas chaud en bord de mer à Bray-Dunes en attendant le lever du jour. Et puis, surtout, il y avait si longtemps que nous anticipions ce moment libérateur. André est aux avant-postes, prêt à en découdre. Je suis au fond du paquet, aux côtés de Ruth, vaillante jeune femme galloise ne parlant pas le français.
Du plat, à travers champs, puis en bord de canaux. Ai laissé partir les troupes, bien toute seule à l'arrière, probablement la dernière féminine. Je reverrai Sophie, puis les canadiennes et américaines, Ruth également, à diverses reprises jusque mi-journée, et ensuite ce sera au tour de Luc, qui a de sérieux problèmes de freins, de me rattraper puis de me distancer.
A travers quelques Monts de Flandres, un beau passage technique au Mont Cassel, premier grand moment plaisir en descente. Clément en embuscade photo, l'immense sourire de Samuel, mon coeur en joie. Le Kemmelberg fidèle à sa légende. Deux grosses rabasses ensuite.
Puis l'Enfer du nord, retrouvailles avec le haut du pavé, j'adore. Solo toute la journée - pas vraiment entrée dans le voyage, pas vraiment dans un rythme course, mais pas non plus sur un mode balade, je cherche mes marques. Heureusement, le plan était clair : un max de kilomètres et d'heures les premiers jours, sans trop taper dedans et en préservant un minimum d'heures de sommeil.
À Le Quesnois, en fin de journée. Après m'être égarée dans le dédale des fortifications, et avoir échangé quelques mots avec Luc, assis sur des marches d'escalier, je tombe au milieu d'une immense braderie, des centaines et des centaines de badauds, traversée de la ville à pied, dans une foule dense et serrée. Bizarre. Pas aimé.
Bivouac en solo, mais avec les taupes, dans un village totalement déserté, quelques kilomètres plus loin.
Endormie rapidement, fatiguée, mais pas mécontente de ma journée !
Images de cette première journée. Photos Pat.
Jour 2 - Dimanche 6 août : de l'Avesnois à la Champagne, en passant par l'Aisne
De Raucourt-au-Bois à Epernay : 210 km, 2074 m deniv+, 13h45 de pédalage. De 3h30 à 23h00.
Debout à 3h30, sommeil impossible avec les taupes qui font le foin sous mon couchage, déjà recouvert de rosée. Autant lever le camp sans attendre que l'humidité froide s'installe. Trente minutes pour tout ranger et m'habiller, et 10 minutes pour relancer plusieurs fois l'Etrex 30.
Grand moment que la forêt de Mormal de nuit, avec les bêtes ! Chemin puis sente tracée par les roues des Dividers précédents. Débouché sur un talus profond, pas d'issue, demi tour, impossible de trouver un passage, je m'éloigne de ma trace gps, retour au talus qui fait impasse, j'extirpe ma lampe frontale de ma sacoche de cadre, flash lumineux, empreintes de pas et de pneus à suivre. Je me conte des histoires d'indiens Blackfoot, tous les sens en alerte, je frissonne, cela me plait infiniment. Craquements de branchages, du lourd à ma droite, des paroles criées "c'est moi, la bête, je ne fais que passer". Puis ce sera le tour d'une section moins sauvage, un chemin plus facile à discerner, toujours dans cette forêt dégoulinante d'humidité, irréelle dans son linceul de nuit et de brouillard, aux résonances étouffées. Bourbiers, troncs en travers, branches, vigilance. Une bouteille de coca à moitié pleine par terre, je la ramasse et la bois aussitôt, je suis assoiffée et ai besoin de calories. Offrande involontairement laissée par Philippe, mon prédécesseur dans le dédale de Mormal, dont l'exploration m'occupe presque deux heures et me laisse comme un goût d'aventure.
A Maroilles, le brouillard et l'humidité règnent en despostes. Il est à peine 6h30, et je n'ose espérer trouver un lieu accueillant où manger et me réchauffer. Pourtant voici une devanture de boulangerie allumée, un vélo de Divider devant, et Philippe assis par terre qui se restaure d'un croissant et d'un coca. J'étais seule au monde, me voici en bonne compagnie. Philippe m'apprend qu'André est au camping de Maroilles, étonnement et contentement - je ne suis donc pas tant dans les choux que cela, et j'aurai sûrement le plaisir de le voir aujourd'hui.
Ah le bonheur que cette boulangerie où je pénètre, affamée, au sortir de la nuit - la douce chaleur, l'odeur du pain chaud et des croissants sortis du four, ces brioches rebondies et viennoiseries épanouies qui me font de l'oeil - je ne peux tout prendre, il me faut choisir.
Encore quelques mots échangés dehors avec Philippe, pendant que j'avale croissant et jus de fruit. Je fais fissa, il fait frisquet. Fuite en avant, dans le brouillard et le froid. Soleil à venir, peut-être.
Le bocage avesnois, royaume de l'humidité, je pisse l'eau. Quelques côtes bien senties, sur le macadam. Puis surgit une section VTT féerique dans cette ambiance de légende arthurienne - mais après quel Graal es-tu en train de courir ? Ravigotante en diable, puis délirante à souhaits, de fondrières en ornières, de crevasses en failles et précipices - jamais vu la terre des chemins balafrée de si gigantesques entailles, quels engins agricoles sont les auteurs d'un tel massacre ?
Après ce long moment surréaliste, et le retour aux affaires du monde - en l'occurence l'emprunt du parcours d'un rallye automobile en cours de contrôle de balisage, ce fut le prodige du café de Wimy, en mi-matinée : un magnifique accueil est réservé aux Dividers. Philippe, qui m'avait rattrapée puis dépassée en côte, est déjà attablé au comptoir lorsque je surviens. Puis ce sera le tour d'André de pousser la porte du café. Longue pause petit-déjeuner, provisions refaites auprès de la boulangère itinérante, et décrassage rapide. André me dit que Sophie est devant, pas très loin, il semble penser que nous sommes en course.....Ah ces hommes !
Ensuite, ce furent des collines et de magnifiques bourgs, comme délaissés, abandonnés. Aussi quelques moments de pédalage de concert avec Sylvain. De l'asphalte le plus souvent.
Après un arrêt dans un bar PMU sur le coup de 13 heures, les collines et le ciel immense de l'Aisne et du beau gravel sous mes roues. A nouveau Philippe qui fait sécher son duvet, puis Sylvain qui émerge d'une boulangerie, et aussi Denis un peu plus loin.
Puis un beau chemin de berge. Et l'arrêt à la fin de la section 3, à Pignicourt, où je retrouve Philippe allongé dans l'herbe, ainsi que son compagnon de route. Là, Christophe et Emilie, dont la maison jouxte l'endroit où se termine la trace, refont les pleins en eau des French Dividers depuis hier ! Mon Etrex 30 me donne quelques soucis, usure du bouton principal. Il doit être mi après-midi. Je ne peux lambiner, je voudrais être au premier check point, à Epernay, à temps pour un bon dîner.
Bientôt, après une portion sur asphalte ventée et ennuyeuse, sus à la montagne de Reims, pour un long et superbe moment de vtt. Plus trace de Sylvain, ou Philippe, mais le trio Gabriel, Christophe et Laurent égaye ma solitude de temps à autre. Avec le poids du vélo, l'état de forme qui varie d'une heure à l'autre, cela complique les choses mais tellement de fun que j'en oublie le manque calorique ( plus rien à manger depuis mi après-midi hormis les bouts de sucre collectionnés) tout au long du monotrace. Lorsque j'émerge de la forêt, quelques deux heures et demi plus tard, grille fermée, mûr à franchir, et m......C'est alors que j'aperçois la voiture French Divide, et Samuel en grande discussion. Un problème d'autorisation de passage, semble-t-il. Oust, une poussée tétanisante pour hisser mon vélo par-dessus le mûr - merci à Clément venu me donner un coup de main, tout à droite et c'est parti pour un effort CLM jusqu'à Epernay.
Je rejoins le CP1 largement à temps pour un demi pression et une pizza partagée avec mon André et les autres French Dividers, dont Sophie, Rémi, Sylvain, Philippe, Christophe, Laurent, et plus tard Denis. Ainsi que notre adorable équipe de GO. Décision vite prise, par plusieurs d'entre nous, d'aller au Première Classe du coin pour refaire le plein de sommeil. A plus de onze heures trente du soir, je ferme les yeux sur les images de la journée et m'endors aussitôt, avec le sentiment du devoir accompli - en deux jours, 456 km parcourus, et 3400 m grimpés.
Images de cette deuxième journée. Photos Pat
Jour 3 - Lundi 7 août : de la Champagne à l'Aube, en passant par la Marne
De Epernay à Bar-sur-Seine : 212 km, 1587 m deniv+, 13h10 de pédalage. De 5h30 à 23h15.
Départ de l'hôtel à 6h40 après un sommeil perturbé par l'air confiné de la chambre, des préparatifs trop longs, et un petit-déjeuner gargantuesque.
André me lâche dès la première côte au-dessus de Epernay. Je change de GPS : les boutons de mon Etrex 30 ont rendu l'âme. Pas de souci, j'avais prévu un GPS de secours, avec les parcours téléchargés, mon Etrex 35 - moins pratique que sa version non tactile sur ce genre d'épreuve, il me permet cependant de continuer sans perdre de temps, et se montrera de la plus grande fiabilité jusqu'à Mendionde.
Les vignobles de la montagne de Reims sont splendides - chemins et petites routes me promènent de collines en collines, puis me déposent sur une grande route des plus ennuyeuses, vent de face cela va de soi. Les jambes vont très bien mais voici venu le temps de maudire ma selle, et cette idée imbécile d'embarquer un maximum d'eau dans mon Camelback les deux jours précédents : le poids du sac a modifié mon assise sur la selle, pavés et graviers se sont chargés du reste, et mon séant n'a plus rien de céans, je vous prie de croire. Le plat et l'asphalte deviennent mes pires ennemis. La halte boulangère à Châlons-en-Champagne ne m'apporte que peu de soulagement et la rengaine douloureuse des ouille ouille ouille revient en boucle.
Depuis le départ je compte les endroits douloureux dans mon corps, il me faut plusieurs heures pour en perdre le compte...l'entrain à pédaler varie en fonction de mes apports caloriques - il me faut recharger la machine régulièrement, pas si facile car souvent cela me pèse de faire l'effort de boire ou manger.
Je patiente comme je peux au long de la Marne puis en suivant le long chemin de berge du canal de la Marne. Même pas l'ombre d'un French Divider pour me divertir - d'ailleurs où sont-ils tous ? suis-je la dernière du lot du samedi ? Un panneau encourageant destiné aux French Dividers, placé au détour d'un chemin, me met du baume au coeur - c'est déjà ça !
En fin de matinée, le chemin de Compostelle m'apporte un peu d'aise et de sublime à travers les collines travaillées et retravaillées par les agriculteurs malgré la soif qui me tenaille depuis des kilomètres.
L'arrêt en station service à Vitry-le-François prend des couleurs d'oasis au rabais. Sarabande du trafic routier, odeurs d'essence, mais un tout en un tellement pratique pour la femme pressée que je suis !
Toujours aucun French Divider à l'horizon, je m'étais habituée à leurs apparitions ici et là, ils avaient ponctué le temps de mes deux premières journées, et cette solitude totale sur les routes et les chemins de la French Divide m'étonne, sans me déplaire.
Après Vitry-le-François m'attend une autre superbe portion de gravel. Son point culminant, le Mont Moret, fut l'un des hauts-lieux de la bataille de la Marne, lors de la Grande Guerre. Je songe qu'il est bien que la French Divide nous fasse passer ici, sur ce mamelon de la côte 153.
Un peu plus loin - peut-être l'effet de ma pause commémorative au Mont Moret, les douleurs si nombreuses du matin sont devenues insignifiantes. Mon corps n'est plus une entrave à ma progression.
Cet après-midi là, je fus introduite au temps déconnecté et solitaire de la French Divide. Point de bascule, d'exultation. Là, entre les maïs et les tournesols, sur ce chemin herbeux si vert parti à la rencontre du bleu et du blanc des nuages. Mon voyage a débuté à cet endroit précis. D'un monde à l'autre. Va savoir pourquoi !
Suivent des bourgs pittoresques, des villages de cartes postales. Outines est l'un des plus beaux, avec ses maisons et son église en torchis et pans de bois. Je ne peux m'empêcher de m'extasier et d'aimer ces petites routes ou chemins entre bois, étangs et champs, cette ruralité plus intime et pointilliste que celle traversée le matin et en tout début d'après-midi, celle aux vastes champs agricoles ouverts à tous les regards et tous les vents.
Je ne verrai personne de la French Divide jusqu'à Brienne-le-Château en toute fin d'après-midi. Arrêt à l'entrée de la ville, au premier resto sur ma route. Je suis cramée par le soleil, les cuisses boursouflées de pustules..beurk... Un demi et une salade sandwich commandés au bar, où les habitués me regardent comme si j'étais ...quoi au juste ? Je file aux toilettes, débarbouillage, crème anti-solaire en grosse tartine, le patron sert ma commande en terrasse en un temps record, je suis en train d'enfourner le tout, penchée sur mes notes, titillée par le souvenir imprécis d'un délai horaire à respecter absolument pour pénétrer une zone quelconque aux alentours, mais quelle zone ? Incapable de m'en souvenir, pourtant Samuel avait insisté au briefing, nom de nom de nom de nom - une vraie zombie, normal que les gars du bar me jettent des regards pareils...J'en suis là de mon monologue intérieur lorsque David survient, wow trop contents de nous revoir, à peine le temps d'échanger quelques mots que mon téléphone sonne. C'est André, il a eu des problèmes de dérailleur - je ne comprends pas tout ce qu'il me dit, lui aussi me parle de délai horaire, qu'il faut que je me dépêche, qu'il continue doucement en m'attendant.....pétard, mais c'est pas vrai, je me suis arrêtée pour faire une vraie pause, la première de la journée, que déjà il faut que je reparte, même pas le temps de bavarder avec David, pire qu'au boulot ! Et puis d'abord comment sait-il où je suis, mon André ? Et moi qui me pensais déconnectée, libre comme l'air, dans mon coin de Champagne humide...j'avais oublié Trackleaders, et l'appli tracking de nos Iphones. Pistée sur la piste, le comble.
Je remballe tout, David décide de me suivre, et hop nous enfourchons nos montures. Bientôt il bifurque, décidé à passer une nuit au camping, plutôt que de tenter le couperet de 21h00. Ah Randonvilliers, oui Samuel en a parlé, il a donné un horaire butoir au-delà duquel il ne fallait pas continuer - 19 heures, 20 heures ? Je n'en sais fichtre plus rien, de toute façon il est 19 heures, donc ça devrait le faire. La tête à l'envers. M'en fiche, le chemin sur les bords du lac d'Amance est d'une beauté incroyable, faune et flore sont protégées, c'est un paradis. Puis c'est la forêt d'Orient, et là je le vois ce panneau stipulant que la traversée de la forêt est interdite après 21h00 - il me reste 1h15, je peux profiter de cette nature sanctuaire, en croisant les doigts pour ne pas avoir un gros pépin mécanique. Et je retrouve mon André à une fontaine au premier village après la forêt - chips, barre chocolatée, toilette, crèmes, un litre d'eau fraîche, habillage du soir et zou c'est reparti pour notre duo. Les meilleures heures de la journée sont là. Nous progressons en toute félicité jusqu'à Bar sur Seine, au dernier éclat du soleil, puis à la lumière d'une superbe pleine lune. Bivouac trouvé au camping municipal désaffecté - idéal, l'herbe est douce et pas un bruit. Matelas gonflé, duvet vite déplié, déshabillage, il est un peu plus de 23h00, je sombre illico. Réveillée un peu plus tard par la pluie, je rabats ma couverture de survie, faudra que cela fasse....incapable de sortir du duvet...mon André pareil. Toujours, il survient un moment où la pluie n'a plus aucune importance. Tout comme les douleurs. Tout comme le sombre de nos vies. Ou tout comme le nombre de kilomètres parcourus. L'essentiel est ailleurs.
Images de cette troisième journée. Photos Pat.
Jour 4 - Mardi 8 août : de la Champagne à la Bourgogne et de l'Aube à l'Yonne
De Bar-sur-Seine à Avallon : 148 km, 2465 m deniv+, 11h30 de pédalage. De 6h00 à 23h30.
La voix d'André me fait émerger des profondeurs bienheureuses. Il bruine, il nous faut décamper. Trente minutes plus tard, il pleut à verse, mais une boulangerie puis un bar brasserie 'Chez Monique' sont prêts à nous accueillir dans le centre ville. C'est parti pour la plus longue pause petit-déjeuner de notre French Divide, le temps que les nuages déversent leur trop-plein. Nous ne repartirons de Chez Monique que 2h00 plus tard, tous les appareils rechargés à bloc, les piles des GPS changées, nous toilettés de frais et le ventre rebondi. Entre-temps j'aurais fait plus ample connaissance avec Monique, affairée dans sa cuisine à préparer d'énormes plats de tomates farcies : tomates du jardin, farce maison. Il parait que sa salle de restaurant est pleine à craquer tous les jours à midi, je veux bien la croire, et je lui dis mes regrets de ne pouvoir rester pour déguster ses tomates farcies. Monique est originaire de Normandie, son mari Alain est un Auvergnat, alors pas étonnant que nous nous soyons sentis chez eux comme chez nous. Entre recettes de cuisine, mécanique agricole, le Cantal, les vacances à venir et les autres, les itinéraires empruntés et les cartes dépliées, les conversations vont bon train. Du coup, lorsque nous nous quittons, nous nous embrassons. Avec la promesse de leur envoyer une carte postale.
Une fois dans la montée au sortir de Bar-sur-Seine, André fait son numéro de grimpeur ailé tandis que je subis la loi de la pesanteur mais ravigotée, requinquée, revigorée, ragaillardie, la bruine ne me fait pas peur. Bourgogne me voici !
Mon ardeur fut vite ramenée à la raison : les talus champenois, raides de traîtrise, s'en chargèrent. Je les avais dénombrés sur le profil de MountNPass, je ne les imaginais pas si difficiles. Je les ai égrenées jusqu'au dégoût ces huit montées bien serrées, bien dressées, bien ventées. Pour finir, je contemplais d'un oeil torve les décorations colorées de ces bourgs riches et riants sous la pluie fine qui tombait par intermittence. N'empêche que la contrée est de toute beauté, et que j'ai aimé ces plis et replis du terrain, ces côteaux abruptes plantés de vignes et ces vallons abrités et généreux, ces croupes exposées plein vent et plein horizon où s'étendent de vastes champs et parfois des bois. Les routes et les chemins empruntés semblent appartenir à un autre siècle, à peine une dizaine de voitures croisées, et un seul cycliste : Denis, en pause sur le bord de la route.
La descente sur Tonnerre fut réjouissante, festive, après le dur labeur du matin. Ma pause collation au bord du canal de Bourgogne se vit raccourcie par la fraicheur de la température, que j'oubliai aussi sec dans le long raidard qui me permit de m'extraire de la bourgade. Mes jambes, enfin dressées à cette rapide succession de raidillons à laquelle j'étais confrontée depuis le matin, se firent sémillantes. L'arrivée au-dessus de Chablis, sous le soleil retrouvé, prit des allures glorieuses. Ah revenir plus tard pour déguster ce vin blanc que j'aime tant. Il me faut absolument ravitailler ici, plus de commerces avant Avallon où je risque d'arriver fort tard dans la soirée. Je fis un long arrêt entre pharmacie, boulangerie et Petit Casino. Les gérants, juste revenus de vacances mais encore avides de voyage, et curieux de la French Divide et de ces bikepackers qui défilaient depuis deux jours, empaquetèrent mes sandwiches faits à la hâte sur le trottoir et les pâtes de fruits qu'ils m'avaient offertes. Souhaits de bon voyage, de bon courage, et promesse de me suivre sur Trackleaders.
Je sors de Chablis, le coeur allègre, les jambes frétillantes. Dernière maison franchie, premières gouttes. Zone artisanale dépassée, rafales de pluie orageuse et de vent. Vite demi-tour, le chemin n'est déjà plus que flaques, j'avise une maison avec un toit en auvent, je me rue sous cet abri, tant pis pour le chien qui fait vilain. Quelqu'un derrière la vitre, je fais des signes pour demander la permission de rester là, hochements de tête, cela ne le dérange pas. Ouf ! Le chien s'est tu. Bientôt il en va de même pour l'épisode orageux. Je repars, mais le chemin de terre est devenu poix collante, je pousse puis porte mon vélo. Puis un raidillon dans les vignes, pause nettoyage au sommet, histoire de voir qui est ce French Divider qui me suit. Présentations. Lui, c'est Charles-Henri. Nous allons faire route ensemble jusqu'à Irancy, et comme nous avons passé tout le temps entre Chablis et la fin de la section 7 à bavarder, et bien je n'ai pas de souvenirs très précis des chemins ou routes arpentés, sinon que nous sommes restés en crête un bon moment et donc que nous avions dû monter auparavant, mais là m'en souviens pas.... Par contre le plaisir pris à avaler quelques descentes pierreuses à toute allure est toujours présent.
Irancy : chargement de la nouvelle trace, et nouvelle pause d'une vingtaine de minutes. Et c'est reparti, il est déjà presque 19h00. Une bêtise d'abord : j'échappe mon vélo lors d'un demi-tour, il tombe à terre, chanceuse, tout est ok. Je reviens à davantage de vigilance et distance Charles-Henri dans la première montée qui suit. Je me sens en pleine forme, apte à me hisser au haut de n'importe quelle côte, affamée de vélo en solo pour ces premières heures de la soirée. Les chemins deviennent plus techniques, pénètrent davantage au coeur des bois, me voici dans mon élément. Enchantement. Désir de voir ces heures s'éterniser. Un geste de la main à un agriculteur au volant de son tracteur, il s'arrête, me demande s'il y a une course, se pose des questions à force de voir tous ces gars à fond sur leur vélo, je lui lance une phrase entrecoupée....French Divide.....Je poursuis dans ma griserie du soir. Traverse un bois sombre, stoppe ensuite, habillage, branchement de la lumière, un French Divider au loin, je devine qui cela peut être, Charles-Henri m'ayant dit que Steve Heading était sur nos talons. Alors j'attends...pas longtemps ! Trop trop contente de faire la connaissance de Steve et de pouvoir échanger un peu avec lui - il fait partie des quelques ultra bikepackers d'outre-Manche que j'admire. Je pourrais presque lui demander un autographe, tellement je me sens l'âme d'une nunuche devant lui, mais comme je n'ai pas l'intention de passer pour une cruche à ses yeux, une photo suffira !
Steve, parti le dimanche matin, a pris la tête de la dernière vague. Cool, calm and collected, en vrai British, il n'est pas ému par ses problèmes de GPS, pourquoi se prendre le tête puisqu'il ne peut rien y faire, me dira-t-il plus tard, lorsqu'il me rattrapera et que je le regarderai s'éloigner avec envie, comme s'il glissait sur les aspérités du terrain, une image d'aisance et de puissance. Quel spectacle impressionnant !
L'obscurité est là, la nuit bientôt. André au téléphone, il est à Avallon, cherche un hôtel. Je suis devenue poussive en côte, il me faudrait un vrai repas, je n'ai plus que des pâtes de fruit. Je ne sais trop combien de kilomètres il me reste avant Avallon, m'inquiète de devoir pédaler encore pendant deux bonnes heures, voire trois, vu le rythme d'escargot que je tiens. Bah j'y arriverai bien toujours.
Plus tard, à Girolles sûrement, dans la côte au sortir du village, un bruit de pneus sur le goudron , un cliquetis de manivelles et une respiration saccadée...mais qui donc me rattrape ainsi ? Je pense à Charles-Henri, mais non il s'agit de Rémi, un dot-watcher enthousiaste, qui suit les French Dividers sur Trackleaders et qui, ayant vu que je suis de la même région que lui, m'a poursuivie pour me proposer une chambre dans la maison familiale. Ouah, ça fait chaud au coeur une gentillesse pareille ! Hélas je décline, le plan étant de rejoindre André à l'hôtel. Ce à quoi je parviendrai, mais une heure plus tard, après avoir emprunté sur 7 à 8 km une large route totalement dépourvue de charme - la D606, et après avoir regretté de ne pas avoir accepté l'invitation de Rémi. D'autant que, arrivée au Première Classe après 23h00, il fallut monter mon vélo au second étage et le caser dans une chambre pour lilliputiens. Heureusement, André a quelque peu pris les choses en main - mais chut, il n'aurait pas dû, et moi je n'aurais pas dû le laisser faire.
J'étais exténuée, vidée, et ne pensais plus qu'à dormir. Comme une masse. Abrutie de sommeil, de fatigue, et de vent.
Images de cette quatrième journée : le vignoble de Chablis. Photos Pat.
Jour 5 - Mercredi 9 août : dans le Parc naturel régional du Morvan
De Avallon à Anost : 114 km, 2260 m deniv+, 10h00 de pédalage. De 6h00 à 22h30.
Réveillée avec une migraine due à la faim et la soif, après un sommeil peu reposant. Dormir entre quatre mûrs exigus et dans un lit ne me vaut rien, cela m'agite et m'angoisse. Cependant, j'apprécie la douche et le délirant petit-déjeuner pris dans la salle du Campanile, et en profite pour prendre la mesure de ce qui m'attend aujourd'hui et faire mes provisions de sandwiches pour la matinée. Nous partons pour le centre ville de Avallon, à la recherche d'un vélociste supposé être ouvert dès 8h00, André pour son dérailleur, moi pour mon Etrex 30. Mais la boutique a été déménagée il y a belle lurette.
Un peu plus loin, j'entends mon prénom crié. Ben qui peut bien me connaître ici ? Un autre dot-watcher ? Non, il s'agit de Francis, Divider haut en couleurs, en train de se ravitailler dans une boulangerie. J'avais fait sa connaissance le jeudi 3 août, la veille de son départ avec la première vague de French Dividers, lors du repas pris tous ensemble dans un restaurant belge. Trop contente de le revoir là, lui et son Fat, le sentiment de retrouver un copain de toujours, l'effet French Divide à plein. Nous quittons la ville ensemble, en trio.
J'attends cette première étape du Morvan avec impatience, car après les étapes dignes des gravel grinders américaines, la Grande Traversée du Morvan (GTM VTT) va dérouler ses chemins et sentiers vtt sous nos roues, pas trop tôt. Evidemment, je sais que cela ne sera pas facile, mais la perspective du deuxième check point à Quarré-les-Tombes me remplit d'entrain. Je prévois d'y arriver vers la fin de matinée, les jambes tournent bien, le reste du corps ne regimbe pas et se prête même au jeu facilement du moment que je n'essaye pas d'aller plus vite que sa musique. André part de l'avant rapidement, Francis s'arrête quelque part, me dépasse à nouveau, puis s'arrête encore - nous jouerons à la fable du lièvre et de la tortue toute la journée.
L'entame du Morvan se résume à une succession de montées et descentes, de l'asphalte, de l'herbe grasse et de la terre gourmande, peu de pierres. Dans chaque creux un village, son clocher, et un lac. De nombreux creux, donc de nombreux promontoires. Des fermes disséminées ici et là, et les taches blanches des charolaises éparpillées dans les prés à l'herbe si verte. Tranquillité pastorale vite démentie. Au détour d'un chemin étroit, rencontre inopinée avec un troupeau d'une quarantaine de bêtes qui déboulent en sens inverse. Impossible de passer, et pour les charolaises complètement apeurées par mon vélo ou ma personne, et pour moi tant elles sont nombreuses - je me jette dans les broussailles, le vélo en bouclier, tente de les rassurer en les invitant à passer, mais non.... le taureau arrive à son tour, bouscule les femelles, tout ce beau monde veut rebrousser chemin, panique, se grimpe dessus, meugle... ah voici la voiture du fermier au loin ! Je voudrais bien savoir ce qu'il faut faire, je n'ose pas faire demi-tour sur le vélo avec les vaches affolées derrière - je gesticule et hurle pour que le fermier m'aperçoive mais il est à l'autre bout du troupeau et ne peut faire grand chose. Enfin la cheftaine se décide à passer et les autres suivent une à une, au pas de course, et en me regardant comme si j'étais une diablesse - même le taureau est effrayé, eh bien ! Le fermier arrive, nous discutons rapidement et il me dit que j'aurais dû faire demi-tour et me mettre dans un pré - et ajoute "mais tout s'est bien passé, vous êtes une bonne". Je n'ose pas lui demander ce qui aurait pu advenir au cas où cela ne serait pas bien passé, mieux vaut rester dans l'ignorance, parfois. Ce fut l'aventure du matin. Cela me mit tellement en joie, après coup, que j'avalai grand sourire aux lèvres une longue section en goulet, jonché de grosses pierres et marches, en descente puis en fond de ruisseau pratiquement asséché - du pur fun en barres ! Puis survint une bonne grimpette champêtre pour rejoindre Quarré. À midi j'étais sur la place du village, pile pour les courses avant la fermeture des boucherie et épicerie !
Je retrouve André, en ayant fini de sa collation. Sébastien est là pour m'accueillir, grand sourire et gentillesse. Francis ne tarde pas, il a été dans mon sillage sonore tout le matin, et s'est amusé des concerts de meuglements ou d'aboiements provoqués par mon passage. Puis Samuel et Clément se joignent à nous, de retour de leur expédition photographique. Bientôt arrivent Michael Grimshaw et Denis. Pas fait pour me donner envie de repartir illico, tout ce petit monde amical et animé de la French Divide. Je prends mon temps pour bavarder, manger, boire, estimer le parcours restant, soupeser mes chances d'atteindre Autun en fin de soirée, écouter Sébastien et Samuel donner des nouvelles d'autres Dividers, échanger quelques mots avec Michael (le poursuivant direct de Steve) qui m'a l'air bien entamé - c'est si bon de ne plus être hors courant, tout en me prélassant dans le monde vibrant de la French Divide. Coupable de cocooning ! Chance, l'air est froid en terrasse, je tressaille et reviens à l'urgence d'avancer. Au total j'ai pris une heure trente de pause à ce CP2. Ce qui m'a permis de vivre un des moments les plus insolites de ma French Divide : voir avec surprise André apparaitre à nouveau sur la place de Quarré-les-Tombes après qu'il en soit parti 15 à 20 minutes plus tôt, en faire le tour, puis emprunter la route par laquelle j'étais arrivée, et enfin repasser une fois encore sur la place, sous mes yeux médusés, quelques dix minutes plus tard - bizarrement, il n'avait pas l'air très serein !
Allez je décampe, Francis aussi. Samuel a l'air de trouver que je traîne un peu trop, il me dit que Sophie est déjà très très loin devant - lui aussi semble penser que nous sommes en course, comme André avant-hier..... ah ces hommes !
Après quelques kilomètres, débute une section technique qu'il m'est impossible de passer entièrement sur le vélo - je pousse et tire et porte les 25 kg à travers les roches le long du Trinquelin. Ce passage est de toute beauté, en bord de rivière aux allures de torrent assagi, nichée à l'ombre de bois moussus. Du vrai vtt, comme dit Samuel, nous attend jusqu'à Autun à 95 bornes de là.
Après deux heures de progression difficile, rendue plus ardue par la digestion, je vais bien - mental et physique sont sereins et efficaces. Autun me semble possible entre 23h00 et 24h00 - je décide de faire une pause gourmande dans l'auberge du lac de Saint Agnan. Grand café crème, jus de fruit et gaufre à la confiture maison - je m'en lèche encore les babines, pendant que je consulte Trackleaders pour la première fois, histoire de m'assurer que André est bien sur la trace.
Moi, aux environs du lac de St Agnan. Bonus plaisir de voir Samuel et Clément postés là. Crédits photos : Clément Milo.
Lorsque je repars, Michael arrive, et nous faisons un bout de chemin côte à côte. Il me dit qu'il n'a pratiquement pas dormi depuis le départ, et qu'il se sent somnolent par moments, notamment dans les portions faciles - il n'a pour ainsi dire aucun bagage, n'a rien d'autre qu'un bivvy ultra léger, un kit mécanique, et un imperméable. Pas de tenue de rechange, bien sûr. Son GPS/smart phone lui donne du souci, il lui faut aller à une bonne allure pour pouvoir le recharger et la section que nous venons de passer n'a pas facilité les choses. Mais il est zen, pas inquiet pour deux sous - un autre phénomène britannique ! Une montée sur chemin pentu et technique, se profile....so long, Michael, take care.
La GTM reprise, je vois bientôt surgir Francis à mes côtés, il s'est arrêté voir un copain à la Maison du Parc. Nous allons rouler ensemble un bon petit moment, Francis picorant les mûres ici et là avec enthousiasme, et me divertissant de son bavardage gai et virevoltant - un bon compagnon d'échappée que Francis !
Plus tard, je ne sais plus dans quel village, éclate un premier orage - je perds Francis et retrouve Michael sous un abri en bois. Il va mieux lui aussi, mais son genou le fait souffrir. Ensuite c'est une série d'averses, puis à nouveau l'orage. Il fait de plus en plus froid et sombre, la piste forestière que je suis est massacrée par les travaux forestiers : les fondrières deviennent des mares.
Après ce passage délicat, je m'arrête pour manger, boire, m'habiller, consulter l'itinéraire sur MountNPass. Il est déjà 19h30 mais j'ai fait le plus dur de cette section, Samuel m'a dit que les derniers 25 kilomètres avant Autun étaient roulants, je devrais donc pouvoir m'approcher et trouver un bivouac à proximité de la ville, même tard dans la soirée. Message vocal laissé - André est à Anost, hors trace, second dérailleur cassé et il attend Alex qui vient le chercher, il veut abandonner.
Coup de théâtre en ce début de soirée orageuse. Je me hâte jusqu'à Anost et voici André transi et Alex désolé, qui m'attendent sur le parking. Comme Alex, je suis navrée de voir André si penaud et soucieux, tout prêt à jeter l'éponge, mais déjà l'idée surgit que peut-être, il pourrait prendre son vtt et rejoindre la trace de la FD ailleurs, plus tard.... Il est presque 21h00, il fait froid et la pluie menace encore, pas le cran de bivouaquer ou de refaire les 5 km de montée pour retrouver la trace de la French Divide là où je l'ai laissée. Je pars à la recherche d'un hébergement dans le village, mais le gîte d'étape est fermé. Heureusement, gîte, restaurant et hôtel appartiennent à la même famille et dès que je suis assurée de pouvoir loger à l'hôtel Forlin, Alex et André repartent sur Dijon en voiture. Ce fut un au revoir bien tristounet, couleur maussade, comme le ciel morvandiau ce soir-là.
Je m'affaire à mon installation dans la chambre, descends au restaurant, il bruine encore, je bois une pression et mange un délicieux plat de pâtes à plus de dix heures du soir, en essayant de ne pas trop penser à ce que demain sera. Puis douche, massage appuyé des deux genoux qui donnent de sérieux signes de fatigue, et hop....fin de la journée.
Si ce n'avait été cette triste conclusion, le contentement extatique eût prévalu - car cette étape avait été de toute splendeur, et je m'en étais sortie avec les honneurs. Et déjà plus de 900 km dans mon escarcelle, bien qu'à peine 9700 m de dénivelé positif, au terme de cinq journées.
Je m'endormis rapidement dans le lit douillet, malgré mon incertitude quant au lendemain. Qu'allait décider André ? Et moi, étais-je capable de rallier Mendionde, si loin encore, si la pensée de pouvoir le retrouver plus loin, le jour même ou un autre jour, n'était plus possible ?
Images de cette cinquième journée. Photos Pat.
Jour 6 - Jeudi 10 août : du Morvan sud à la Saône et Loire, en passant par le Signal d'Uchon
De Anost à Bourbon-Lancy : 128 km, 2524 m deniv+, 11h30 de pédalage. De 5h00 à 23h45.
Réveillée très tôt, une fois encore - c'est décidé, plus de chambre d'hôtel pour moi. Trop de temps perdu en recherches, installation, toilette et autre, rangements, et pour couronner le tout, à chaque fois je dors très mal. Samuel avait raison hier, la French Divide n'est pas une balade, c'est une course, avant tout contre ma nature oisive et contemplative. Je prends le temps de saisir quelques notes sur ma page FB - je sais déjà que ce sera la dernière fois. Dorénavant, je ferai confiance à ma mémoire et tous les soirs ce sera bivouac, qu'il pleuve ou qu'il vente.
A 6h30, je prends le large. La mise en route est hésitante, mon mental est grippé. Froid, humide, gris. En fait très froid, puisqu'il ne fait que deux degrés. Mais je ne m'en aperçois pas vraiment. Une seule pensée en tête : rejoindre Autun au plus vite. Je tente de congédier les autres pensées, notamment celles afférentes à la décision que prendra André - je ne sais encore rien de lui. Pédale, avance et tais-toi. Fais confiance à ton corps et tes sens. Pas âme qui vive, brume et rosée, bois et champs, charolaises qui s'éveillent, l'air en suspens, mon intérieur chaud et vivant, à la réflexion et à l'usage cela suffit amplement à mon bonheur matinal.
Et puis, là au loin, une forme imprécise en mouvement, oui il s'agit bien d'un Divider. Je mets un peu de temps à le rejoindre, ne reconnaissant Francis et son Fat que dans les derniers instants. Il ne m'a pas entendue, je le surprends - pris en flagrant délit de méditation. C'est lui qui me fait prendre conscience du froid qui règne. Bientôt nous entrons dans Autun.
Petit-déjeuner, en compagnie de Francis et Charles Henri, qui nous a rattrapés dans la ville, alors que j'achetais une crème pour les lèvres en pharmacie - coupures et gerçures devenaient de plus en plus préoccupantes. Puis passage chez le vélociste du coin.
Dans le café, la réception d'un sms d'André, annonçant qu'il reprend là où il a abandonné la veille, me met le cœur en joie. Après le passage à la boutique de cycles, j'attaque donc la montée vtt au sortir d'Autun avec allégresse.
Las, je suis tout simplement épuisée après l'impitoyable Morvan et une nuit presque sans sommeil à ressasser l'abandon probable d'André. Je me rends compte que je suis physiquement et mentalement broyée, ma forme matinale et paradoxale s'est évanouie je ne sais où.
Bien sûr j'accumule les inepties - pneus sur-gonflés, chute dans une descente glissante et toute en ornières, perte de mon bidon malgré une remontée à pied pour le traquer dans les broussailles, chaîne bloquée entre les rayons et la dernière couronne lors d'un changement de vitesses hasardeux. Les averses drues et refroidissantes viennent s'en mêler. Je poursuis mon chemin, vaille que vaille, en partie absente, comme détachée et spectatrice de mes efforts tellement vains. Un seul crédo en tête, celui de Lee Craigie que j'ai fait mien - Keep inching your way, continue d'avancer mètre après mètre, ne lâche rien.
Fin de matinée, alors que je fais une pause collation, je suis rejointe par Luc, mal en point lui aussi. Nous allierons nos méformes quelques kilomètres, puis le temps d'une pause averse dans un hameau où je trouve enfin à boire - une bouteille donnée par une habitante chez qui j'ai toqué. Luc repart bien avant moi, probablement boosté par la vue de Didier, Divider belge parti le dimanche, et de son compagnon de route. Tous deux nous saluent joyeusement, ils ont l'air frais et dispos, en pleine forme. Du coup je me sens vieille, flétrie et lasse - toute forme de comparaison est à bannir.
Peu de temps après mon André arrive sur mes basques - quel bonheur !
Encore quelques bêtises de ma part, comme l'oubli de mon casque sur le chemin lors d'un micro-arrêt ( on ne cesse de bâcher/débâcher) - merci Julien ! Et des chemins qui n'en finissent plus de grimper, entre forêts et champs, sableux ou pierreux, abrupts ou serpentins, et parfois de superbes descentes génératrices d'adrénaline et de méga-plaisir. Aie, une ronce me lacère les lèvres, déjà bien amochées - je hurle de douleur, mais ça descend vite et fort, alors.....
Je ne sais comment mais nous finirons par rejoindre Toulon-sur-Arroux en évitant l'orage qui menace, et avant la fermeture des magasins. Je me rends à la pharmacie directement afin de prendre des repas protéinés, je suis de plus en plus incapable de manger et boire, suis écœurée en permanence - le pharmacien m'offre des conseils très professionnels, il est parfait. Pas étonnant il est triathléte, et m'apprend qu'il nous suit sur Trackleaders - cela m'émeut, et cette admiration qu'il ressent si clairement pour nous les French Dividers me stimulera bien plus encore que les deux crèmes protéinées avalées coup sur coup, ainsi que l'eau gazeuse et les sandwiches jambon-fromage. Tout en devisant avec Julien survenu sur nos talons, puis Denis, que je n'avais pas revu depuis Quarré-les-Tombes.
Une heure plus tard nous repartons pour une belle soirée, direction Bourbon Lancy jusqu'à ce que nous ne puissions plus avancer. Une vingtaine de kilomètres de routes campagnardes sereines, au crépuscule, nous attend - déambulation rythmée par les raidillons nombreux, et parfois par les beuglements d'un taureau qui n'en peut plus de sentir ses femelles en chaleur dans les prés d'à côté. Le silence est rarement de mise dans la campagne.
Bientôt Duncan et Philippe nous rattrapent, ils ont la jambe facile les petits jeunes, et le Sobre de Phifoo fait notre admiration. Nous finirons tard, après une section vététiste sauvage qui a bien failli avoir raison de moi, tellement j'avais passé le stade de l'épuisement. André était imperméable à toute supplique de ma part, et la seule chose qui me retint de m'allonger pour la nuit sous un arbre fut la pluie qui redoublait. Dès l'entrée à Bourbon nous trouvions un abri sous l'avancée de toit d'un magasin de vélo - comment faire mieux ? Vous dire le bonheur ressenti à enfin pouvoir fermer les yeux et tout laisser aller pour quelques heures dans mon duvet est juste impossible.... ce fut une sensation incroyablement bienheureuse que de me laisser glisser dans le sommeil. Même pas eu la présence d'esprit de m'auto-féliciter d'avoir dépassé les mille kilomètres.
Images de cette sixième journée. Luc et les paysages au sud du Morvan. Photos Pat.
Jour 7 - Vendredi 11 août : de la Saône et Loire à l'Allier, en passant par le Bourbonnais
De Bourbon-Lancy à Ebreuil : 138 km, 1560 m deniv+, 10h10 de pédalage. De 5h30 à 22h30.
Cette étape bourbonnaise aurait dû être une formalité, un trait d’union rafraichissant et revigorant entre Morvan et Massif Central. Je me l’étais imaginée ainsi, et me réjouissais à l’avance de revenir sur mes anciennes terres, de revoir le village de Charroux, et peut-être Bernadette à Rose Thé. La perspective du connu reconnu agissait sur moi comme un aimant. Ce fut tout le contraire et cette étape constitua une des leçons que la French Divide m'a fait revoir de fond en comble : être toute entière là où je suis, sans attentes et sans projections.
Lever des corps aux environs de 5h30 du matin, sur une invitation d’André. La nuit a été réparatrice, juste quelques secondes d’éveil lorsqu’un Divider inconnu a projeté son phare sur nous, à la recherche d’un abri pour dormir. Je vérifie, il est sous la passerelle, et dort du sommeil des justes, ses affaires soigneusement mises à sécher - qui est-ce ? En face du vélociste, la vitrine d’une boulangerie s’éclaire, miracle. Un premier croissant, et une seconde boulangerie, faisant office de café, dans le centre - une bénédiction, d’autant que la boulangère est un amour. Après presque une heure consacrée au petit-déjeuner, recharge des appareils, consultation du programme du jour, échanges sociaux, provisions pour la matinée et ablutions, nous repartions sous une pluie fine qui, si je m’en souviens bien, ne tarda pas à s’arrêter.
De notre avancée jusqu’à Moulins, je retiens surtout que c’était plat, désespérément plat, et que je ne savais plus comment me poser sur cette selle, ou comment poser les mains sur le guidon. Amer regret de ne pas avoir considéré l’option des prolongateurs, au moins pour varier mes appuis, pouvoir m’allonger sur mon cadre et ainsi gagner en pénétration dans l’air. A retardement également, regret de ne pas avoir poussé plus avant la question du choix de la selle - la mienne est caractéristique des courses VTT / XC, alors vous imaginez bien qu’après plus de 1100 bornes sur chemins et sentiers, toute la zone délicate de mon assise était au supplice, et que cela durait depuis plusieurs jours. Par contre je me suis félicitée d’avoir veillé à enchainer des temps de plus en plus long de pédalage debout lors de mes séances d'entrainement dès le printemps, au moins je réussissais à trouver un soulagement momentané.
Nous avons traversé Moulins sans arrêt, mais il fut temps de mettre pied à terre lorsque nous arrivâmes sur la surprise du chef Samuel : le chemin du Castor en bord d'Allier. Après nous être amusés à dérouler un singletrack serpentin de toute beauté, je fus interloquée par la vue d'une très courte montée dans un enchevêtrement végétal type jungle amazonienne. Pas le choix, vélo à l'épaule, j'ai commencé à gravir ce truc de ouf, bien cru que j’allais exécuter un triple salto arrière non maîtrisé - nom de nom, y'a fallu que je m'arrache. Brève du jour notée dans un coin de mon cerveau : Samuel est un pervers.
Ensuite le temps s’est étiré à n’en plus finir, pour moi du moins, jusqu’à notre pause déjeuner à Châtel-de-Neuvre. Mon cerveau n’avait plus sa dose de sucre nécessaire, je n’avais qu’une pensée en tête : dormir. Mes muscles tournaient à vide - vite, il me fallait une prise de sodium et glucose.
Au resto, feeling bizarre. Est-ce moi ? Mais nous retrouvons Luc, qui décampe rapidement, légèrement défrisé par l’ambiance. André se régale du menu du jour, pour ma part je me gorge de panini et croque-monsieur, et d’un coca pour mon cerveau. Je n’ai jamais autant avalé de mal bouffe que sur la French Divide, tant il est impossible de souvent trouver le commerce adapté sans perdre trop de temps. A croire que la junk food n’est pas si mauvaise que cela, puisque j’ai fini et survécu. Et que j'ai pris bien du plaisir à l'engloutir.
Survint le tout jeune Adrien, que je n’avais pas encore rencontré. Il nous dit avoir eu un gros coup d’arrêt, mais il se sent mieux. D’ailleurs nous ne le reverrons plus jusqu’à l’arrivée à Mendionde, comme Luc d’ailleurs. Ah la jeunesse, c’est beau !
Je m’éclipse pour faire un brin de toilette, enfin, et entends crier mon prénom - André me convoque. Samuel, Clément et Sébastien sont là, ils se sont arrêtés au resto pour faire des photos et nous dire le bonjour. Ils sont en route pour Cahors, après avoir quitté le CP2 de Quarré-les-Tombes, où ils étaient depuis 3 jours. Tellement plaisir de les voir là, cela me dynamise. Quelques barres Mars achetées au tabac du coin, de l’eau gazeuse et un Red Bull, on ne sait jamais - celui englouti en soirée du premier jour m’avait sauvé la mise. Pas l’habitude de ce truc, alors ça joue plein pot dans mon organisme affaibli, j’imagine….quand je vous dis que j’ai dû avaler à peu près tout ce qui se fait de mieux en mal bouffe pendant les 14 jours et 4 heures de ma French Divide.
Nous entamons les petites collines de Verneuil, puis Saulzet où une averse orageuse nous fait sortir nos habits de circonstance - au sommet, dans les vignes, un panneau fabriqué maison pour encourager les French Dividers. Chaud au coeur. Puis 50 mètres plus loin, un autre panneau qui nous encourage nous, André et Patricia, de fort belle manière ! Alors, je sais, c’est l’oeuvre de Francis et Cathy, peut-être aussi celle de Valérie et Cat….le coeur bien enflé, les yeux mouillés, je stoppe pour passer un sms à Cathy et lui dire que je sais….plus loin encore le panneau « on vous aime »…j’ai de la peine à respirer, ça bloque, ça se soulève….je poursuis, et plus loin ils sont là, devant mon vélo, ils ont surgi comme des lutins malicieux ….Gosh, j’ai bien failli pleurer à chaudes larmes, en tous les cas mes larmes coulent d’abondance, à me remémorer ce moment…..je vous ai déjà remercié pour ce moment d’amitié si vibrante que vous avez su si bien nous offrir, Cathy et Francis, je le fais et le re-ferai encore. Vous n’imaginez même pas tous les possibles que cela a ouvert en moi. Ce fut un moment de grâce, court certes, mais absolument inoubliable. Et Cat je sais que tu aurais voulu être présente, rassure-toi tu l’étais. André, tout aussi bouleversé que moi, est demeuré un peu plus longtemps auprès de vous, et de votre ravitaillement disposé devant votre camping car, à l’ombre de l’étendard de Croc Bio…bientôt rejoint par Francis Masse. Tiens deux Francis.
Ce moment m’a porté tout au long de l’après-midi, vécue sur un mode pénible pour ma part, probablement à cause des vibrations orageuses, des alternances de froid et chaud, des montées ardues sur Fleuriel, Chantelle, Charroux puis St Bonnet. Probablement aussi à cause de la déception à ne pas retrouver ce qui faisait le charme de mes balades vtt solitaires du temps où je résidais à Vichy, et très certainement en raison de ma fatigue générale. Beaucoup plus tard à la gare de Bayonne, Steve m’a dit que les sixième, septième et huitième journées sont celles de tous les dangers sur des évènements VTT bikepacking de ce calibre. J’étais donc en plein creux de la vague. Et cette journée bourbonnaise fut probablement la plus difficile mentalement, pour moi. Mais il y eut cet éclair d’amitié phénoménal - Cathy et Francis, vous êtes tombés à pic.
Pour en finir avec cette septième journée, nous avons rejoint Ebreuil autour des 20 heures, je crois. Nous poussons la porte d’une pizzeria, établissement pimpant et coquet dans le centre du village, et sommes accueillis par un ‘nous sommes complets’ moqueur voire un brin méprisant de la patronne, alors que la salle est à moitié vide. Le regard dont elle nous gratifie, ainsi que celui que nous lancent certains des convives attablés, me font réaliser en un instant que nous ne sommes pas assez comme il faut - trop sales, trop hirsutes, trop puants, trop pauvres sûrement, trop je ne sais quoi. Ce fut une ligne de fracture, de passage sans retour à une autre dimension, celle de l’aventure French Divide, off road mais aussi hors courants, en marge. Adieux au monde convenable et au conformisme emprisonnant.
Depuis j'ai relu De la marche, de Henry David Thoreau et suis tombée en arrêt sur ces deux passages : "Je ne vois rien de risible dans le fait que la tunique du trappeur fleure l’odeur du rat musqué. C’est là pour moi une odeur plus douce que celle qui s’exhale d’habitude des vêtements du marchand ou de l’homme d’étude. La vie et le sauvage vont ensemble. Ce qui est le plus sauvage est aussi ce qui est le plus vivant." et "A quoi bon emprunter sans cesse le même vieux sentier ? Vous devez tracer des sentiers vers l'inconnu. Si je ne suis pas moi, qui le sera ?" Thoreau dit là l'essentiel de ce que je ressentis, compris, dans cette pizzeria dont la propriétaire me joua un très beau tour, en fin de compte. Cent dix-huit ans plus tard, la tunique du trappeur devint le cuissard et le maillot de la French Divide que je portais alors, et la French Divider que j'étais épousa sans le savoir les convictions du marcheur amoureux des bois sauvages qu'il était.
Je savais qu’il y avait un camping municipal à la sortie du village. Miracle : le responsable nous autorisa à profiter des douches chaudes gratuitement, pendant que le cuisinier d’un camion frites planté devant le camping nous élaborait un énorme menu hamburger-frites-coca-bière absolument divin. Il faisait froid, aussi nous nous sommes pressés avec d’autres sous un auvent, où il faisait gai et bon. Ce qui a dû attirer notre troisième larron, Francis, survenu sur ces entrefaites. André avait dans l’idée de repartir, je n’avais rien dit mais savais que la section qui arrivait était une promesse de galère, sous la pluie, dans le froid et la nuit, et que le dénivelé sur chemins et sentiers allait être des plus malaisés. J’ai fait celle qui allait se doucher avant de repartir, mais il était déjà 21h0O, et la bonne décision d’établir notre bivouac sous un grand auvent à l’entrée du camping s'imposa d'elle-même. Ce fut une seconde nuit parfaite de récupération, après m’être glissée propre et fleurant bon dans mon duvet, mon vélo prêt à partir pour le lendemain. Bonne nuit. Faites de doux rêves. La vie sur la French Divide est si pleine et belle.
Images de cette septième journée. Hommage à Cathy et Francis. Photos Pat.
Jour 8 - Samedi 12 août : de l'Allier au Puy-de-Dôme, au coeur du Massif Central
De Ebreuil à la Tour d'Auvergne : 114 km, 2976 m deniv+, 12h00 de pédalage. De 4h30 à 22h00.
Nous avons eu la chance d’avoir une météo clémente et de pouvoir profiter d’une vue exceptionnelle sur les monts du Sancy pour cette étape de toute beauté, bourrée à craquer de fun vététiste, mais à classer parmi les plus exigeantes de la French Divide.
Réveillés tôt, je quittai le camping à 5h00, avant André et après avoir avalé une pâte de fruit et le Red Bull acheté la veille. Francis dormait profondément, j'ignorais alors que nous ne le reverrions pas. Nous nous retrouvâmes bientôt sur les chemins, après une erreur d’aiguillage en descente. Mea culpa. Et en prise avec de forts pourcentages. Bel échauffement de fin de nuit avant le redoutable raidard au sortir du Barrage de Sep.
Là, la trace gps nous enjoignait de bifurquer à gauche dans les bois, sur une sente à peine visible. Empreintes de roues et chaussures, d’autres Dividers avaient tenté de respecter la trace. Mais d’un seul coup la pente se cabrait à angle droit, vision d’horreur, je savais que j’étais totalement incapable de pousser ou porter les 25 kg du Stumpjumper jusqu’au sommet. Un petit coup d’énervement, histoire de lâcher la pression et faire comprendre à André que c’était mission impossible, même si certains semblaient avoir réussi. Mais qui ?
Bon sang, je voudrais savoir comment les premiers (Pierre Alain, Benjamin et Sylvain) ont réussi à se frayer un passage sur de nombreux chemins ou monotraces, à travers ronces, orties, branchages, marécages. Des E.T. ces déblayeurs, non seulement ils se déplacent à la vitesse du son, mais en plus rien ne les arrête. Un immense merci à nos Eclaireurs, j’ai souvent pensé à vous avec reconnaissance, vous nous avez tracé une autoroute....ou presque !
Bon, demi-tour pour rejoindre le chemin, plus long, moins assassin. Je me doute que la plupart d’entre nous aura pris cette option, donc pas de pénalité appliquée, mais le chemin se fait vite impraticable à vélo. Poussons, tirons, portons, ahanons, et transpirons pour franchir à pied roches et rochers. Nous débouchons ensuite sur le plateau, les monts Dôme en point de mire, à hauteur de Montcel et Charbonnières-les-Vieilles, et à proximité du Gour de Tazenat. Que le Puy-de-Dôme est un beau département !
Le jour est maintenant bien levé, magique malgré la couverture nuageuse et la fraicheur. Nous continuons à monter d’un chemin à l’autre, loin des bourgs que nous aimerions pourtant traverser car la faim se fait bien présente. Je n’en peux plus, je décrète une pause dans un carré de soleil, en bord d’asphalte désert. Depuis deux jours, je ne peux plus boire et manger tout en roulant, les coupures, gerçures et boursufflures à la lèvre inférieure m’obligent à de multiples précautions. Il me reste un bout de pain et un Mars. Ma ration quotidienne sur la FD : cinq barres chocolatées, les Mars étant les plus efficaces. Je mange tout en lisant mes notes : il nous faut pousser jusqu’à Paugnat, à proximité de Volvic, pour espérer trouver un commerce ouvert, encore au moins une heure de pédalage.
Sur ces chemins, m'arrivèrent les réminiscences de sorties effectuées il y a bien longtemps avec les copains de Châtel-Guyon. J'adorais rouler dans ces coins, et à l’époque je me sentais héroïque de pouvoir suivre plus ou moins bien ces vététistes expérimentés pendant 30 km. Si j’avais su alors ! Que d’inattendu dans le cours de nos vies. L'impensable devient d'actualité, notre vulnérabilité devient puissance. Je sus alors que tout se passerait bien jusqu’à Mendionde, pour André et moi. Et que nous y arriverions très certainement dans les délais impartis. J'avais accepté le fait d'être en course, et non en randonnée, deux jours auparavant, lors de ma première étape dans le Morvan. Mais j'avais conservé mon application à ne pas me mettre de pression indue, et à m'accorder un peu de temps et espace quand cela devenait nécessaire, pour ne pas prendre peur devant l'ampleur de la tâche qui m'attendait. Mais là, sur ces chemins, je réalisai que la French Divide ne pouvait se vivre que sur le mode du contre-la-montre, et non comme une simple course contre moi-même. Yep, je sais, j’ai toujours été lente à maturer, pas toujours très vive la fille. Sûrement que je suis un exemple parfait de ‘mieux vaut tard que jamais’, bah cela me va bien comme cela.
Mais que j’en revienne à nos superbes chemins de la Grande Traversée du Massif Central (GTMC), et surtout à notre arrêt à Paugnat en milieu de matinée. Au soleil, en terrasse, entre le café et la boucherie, choyés par des patrons fabuleux et enthousiastes, en un mot des auvergnats, après un arrêt magistral à la boulangerie-pâtisserie de la rue centrale. Quel bonheur que cette halte où Phiphoo très mal en point nous rejoignit, le temps éclair de son petit-déjeuner, après avoir passé la nuit dans une grange indiquée par notre bistrotier - Duncan était reparti très tôt, laissant son pote en proie à la fièvre. Rassurez-vous, Philippe s’est vite remis, et a ensuite réalisé une étape de folie. Une fois encore, c’est beau la jeunesse.
Mais nous n’avons pas non plus démérité, mon André et moi, et notre progression jusqu’au col de Nugère, puis Vulcania, puis Olby, au large de la ribambelle des Puys en toile de fond du paysage, fut allègre. Après Olby, où nous avons retrouvé Philipe, lui aussi arrivé trop tard pour pouvoir se ravitailler, il nous restait la montée jusqu’au col de l’Ouïre, puis celui de Saint Laurent, via la GTMC. Un gros morceau. Une splendeur. Probablement las de ma progression devenue trop lente, André prit la poudre d’escampette. J’avais faim, soif, n’avais plus de provisions, j’ai géré. Bonheur d’un ruisseau en bord de chemin, eau bue goûlument, bouteille remplie et 3 ou 4 morceaux de sucre trouvés au fond de mon sac mis à fondre - ceci allait me permettre de tenir jusqu’à La Bourboule. Cela et l’apparition inattendue de Pascal Cazaux au lac de Guéry.
Après la solitude magnifique des bois et du col de l’Ouïre, et la descente cascadeuse jusqu’au col de Guéry, le débouché sur le parking du lac, les voitures, les pique-niqueurs et randonneurs en grand nombre, le café restaurant plein à craquer, l'animation, les voix, les rires, je me sens oppressée, comme un poisson rejeté sur la plage, c'est trop pour moi et je décide de filer à toute allure. Mon prénom crié, quelques secondes d’ajustage, et voici Pascal dans mon champ de vision. Sorti de je ne sais où, un immense sourire sur le visage, une voix remplie de joie et d’amitié, tellement content de m’avoir attrapée au vol. Je ne saisis pas tout ce qu’il me dit, mais je le suis. Francis a trouvé ma couverture de survie, et l’a donnée à Pascal pour qu’il me la rende. Ils s'étaient aperçus un peu plus tôt dans la journée, génial ce cordon d’amitié off de la French Divide. Pascal me présente à son épouse, ils sont sur La Bourboule pour un jour ou deux et fileront sur Cahors ensuite. Mon cerveau a un peu du mal à s’adapter, mais voir Pascal là me fait tellement de bien, l’entendre me dire que La Bourboule n’est plus très loin aussi, c’est fou cette joie et cette amitié qui transpirent de lui, je n’en reviens pas. Et je reste plantée là, stupéfaite. Et je saisis : Pascal est un French Divider de la première heure, un vétéran, il a réalisé une French Divide d’anthologie en 2016, s’est pris d’une passion impossible à guérir pour elle et il m’inclut maintenant dans le cercle très fermé des initiés. J'en reste bouche-bée, et tellement fière.
Mais il me faut poursuivre. A nouveau, je réalise combien je ne peux plus m’arrêter, me mettre en pause longtemps, j’ai cette urgence en moi, avancer, avancer, être en mouvement, sentir l’air, le vent, les arbres, les herbes, les pierres, la terre, le sable, ne plus être qu’eux, ne plus être que ce regard qui fouille le chemin devant moi, le cerveau qui jauge la nature des difficultés et décide du pilotage, ne plus être que cette circulation d’énergie vive, celle que je vais puiser à chaque tour de roue dans la terre, les nuages, la lumière, le vent, les frondaisons des arbres, les troncs des arbres. Oui, il m’est arrivé d’embrasser des troncs d’arbre, de m’imprégner de leur calme et générosité, de leur force et de leur équilibre, pour pouvoir continuer. Cette énergie qui ne m’a jamais fait défaut dès lors que je me souvenais que tout irait bien si je revenais à la douceur, celle qui me constitue, celle de l’univers, et si je ne me laissais pas aller à la frustration ou la colère ou l’épuisement ou la peur ou le doute. J’ai puisé à l’univers tout entier, il a tant à offrir. Sur cette fin d’étape, puis sur chaque étape ensuite. Ce fut là ma grande affaire, ma grande révélation, déjà pressentie bien sûr, mais jamais auparavant avec cette acuité et netteté. Et c’est la douceur ainsi trouvée et transformée en source inépuisable d'énergie qui rend le mieux compte de ma French Divide, et de ce sentiment inouï de complétude et d'infinitude que j’ai depuis.
Là-haut, j’ai bu les paysages des yeux, puis adoré la descente jusqu’à La Bourboule, trou infernal rempli de voitures, circulation, vacanciers affairés à je ne sais quoi, bruits et odeurs citadines, bref un endroit absurde. J’ai vite repéré le vélo de mon André, devant un Utile. Il faisait les emplettes du soir. Je l’attends totalement abasourdie. Et voici Pascal qui, en bon pisteur de Dividers, nous a facilement retrouvés dans la ville. André est absolument ravi de le voir là, exclamations, interrogations, propos enthousiastes. Je m’installe sur la bouche d’aération, je suis transie de froid après la longue descente, puis part à la recherche d’une boulangerie, trouve le top de la boulange, et retour à ma bouche d’aération, d’où sort un souffle chaud divin. Nous mangeons, dévorons, engloutissons, à même le trottoir, sous le regard amusé de Pascal. Quelques passants nous gratifient d’un ‘bon appétit’, d’autres passent totalement indifférents. Puis vient le temps de constituer les provisions dans les sacoches. Pascal nous conseille de repartir, de toutes façons pas d’autre choix car je ne veux surtout pas demeurer dans ce lieu insensé, et de rallier La Tour d’Auvergne en toute fin de soirée. Il nous parle d’une montée pour sortir de La Bourboule, pas de problème, au point où j’en suis, de toute façon c’est le plat que je déteste, et une montée va nous réchauffer, allez vite en avant. D’autant que Pascal nous donne rendez-vous à Cahors dimanche ou lundi, il nous assure que nous pouvons le faire, et que ce sera alors gagné pour Mendionde. Un immense merci à toi, Pascal.
Et nous voici repartis, nous attaquons la côte dare-dare, nous promettant un bivouac à La Tour aux alentours de 22 heures.
Aaarghhhhhh c’est quoi ce binz ? Pétard, mais ils ne veulent tout de même pas que nous passions par là, y sont totalement cinglés, mais ça va s’arrêter où ce délire ?!!! Nom de dieu, nom de dieu. Et ben allez yapuka, puisqu’il en est ainsi, puisque Samuel l’a voulu ainsi, nous nous exécutons et nous commençons la lente procession ascendante de notre chemin de croix, en poussant nos montures - 25 kg pour moi, je vous rappelle. Savez quoi ? il s’agit d'une piste de DH, rien que ça. A remonter à contresens, alors je pense que vous êtes à même d’imaginer l’envergure des efforts qu’il me fallut accomplir, mais j’y suis arrivée en haut. Et triomphante en plus de ça, et en savourant l’euphémisme trompeur de Pascal, et la perversité joueuse de Samuel. Ensuite galette, mais galette trompeuse car nous nous sommes égarés dans les bois, au crépuscule, avant de retrouver notre sente à travers les estives, à l’heure où les vaches si belles te regardent à peine passer tant elles sont absorbées par la digestion, le regard perdu dans la nuit qui tombe.
Puis ce fut la descente jusque La Tour d’Auvergne, et le repérage d’un abri par mon chasseur André. Avant l’entrée de la bourgade, une maisonnette avec table et bancs en pierre destinée aux randonneurs. Il était plus tard qu’escompté. Une fois encore, je ne fus pas longue à dérouler couverture de survie et duvet imperméable, et à me glisser au chaud, et à fermer les yeux avec délice, en me disant que c’était le meilleur moment de la journée. Bye bye the world, je m’absente quelques heures, tu feras sans moi.
Images de cette huitième journée, au coeur du Massif Central. Photos Pat.
Jour 9 - Dimanche 13 août : du Cantal à la Corrèze
De La Tour d'Auvergne à Quatre Routes : 155 km, 2970 m deniv+, 11h00 de pédalage. De 5h30 à 22h30.
Lorsque nous nous extirpons de notre duvet, il fait encore nuit, froid et humide. Nous rangeons notre barda et mangeons les maigres provisions restantes de la veille aussi rapidement que possible, puis enfourchons nos vélos sans nous poser de questions. Le bourg de La Tour d'Auvergne est plongé dans le silence et l'obscurité.
Avant de conter cette journée dominicale, je voudrais rendre compte d'une particularité essentielle de la French Divide. Toute la durée de la French Divide, chaque Divider est géolocalisé sur Trackleaders en permanence, grâce à un traqueur Spot qui peut être soit loué, soit acheté. Je savais, pour l'avoir expérimenté de nombreuses fois, que s'intéresser à la progression d'un vététiste sur une épreuve ultra en autonomie, grâce à ces points de géolocalisation, engendre rapidement des habitudes compulsives de consultation de la page dédiée à l'évènement. Car il s'agit là d'un voyage par procuration, qui donne une envie furieuse d'être un jour non plus le suiveur mais le suivi, de passer du virtuel au réel.
Il est certain que ce dispositif de suivi de ma progression m'a souvent permis de ne jamais fléchir dans ma résolution à rallier Mendionde. Je savais que vous étiez nombreux à vous rendre sur Trackleaders, histoire de vous rassurer sur mon compte ou de suivre notre progression, à André et moi. Vous savoir attentifs à mon avancée s'est révélé un catalyseur, et m'a libérée du souci de vous donner des nouvelles via les réseaux sociaux.
Ma Sarah, Hervé, Cathy et Francis, Cat, Alex et Coco, Alain et Bruno, les copains de mon club VTT caladois, Michel, Pascal, Marie-No, Marie-Chantal, Claude et Eliane, Alix, Stéphane, Vanessa, Aurore, Gilles, Bernard, Gégé, Pascal, Delphine, Dominique, Valex et tous ceux et celles qui m'ont suivie sans me le dire, je vous suis si reconnaissante de ces ondes d'amitié et d'amour que vous m'avez envoyées. Parfois, je vous imaginais en train de consulter Trackleaders, et me figurais votre enthousiasme ou vos doutes, et je souriais à l'étrangeté de savoir que vous pouviez me localiser à l'endroit exact où je me trouvais, et pouviez vous représenter ce que j'étais en train de faire. Un fil invisible nous reliait. Et comme j'en eus besoin de ce fil lors des heures matinales du 13 août. Le bout de sandwich et le jus de pomme avalés à mon réveil ne firent pas long feu sur les routes du Cantal. Pas une boulangerie, pas un café, dans les bourgs endormis et déserts. Je n'étais plus qu'une ombre à vélo, à la poursuite d'André toujours un peu plus loin devant, comme une coquille vide à la dérive dans le froid matinal. J'avais toutes les peines à rester éveillée, même le travail de douceur devenu mon habitude ne suffisait plus. C'est alors que je me suis récitée vos prénoms, comme une litanie à moi-même. Je ne pouvais pas vous lâcher, vous planter là, pour sombrer dans le sommeil et m'effondrer sur la route, n'est-ce pas ?
Comme toujours, les heures sombres de mes hypoglycémies finirent par se dénouer en heures glorieuses. Mais pas avant d'avoir atteint Champs-sur-Tarentaine, après 2h30 de pédalage. Boulangerie, épicerie, boucherie, café, tous ouverts en ce dimanche matin, c'était byzance. Et il y avait même du soleil et de la chaleur.
L'arrêt petit-déjeuner, ré-approvisionnements et ablutions fut long. Et nous permit de voir arriver Ben, un Divider britannique tout aussi fatigué que nous. Il était nu tête, avait semé son casque en route, et n'avait pas encore réalisé qu'il était dimanche et que bientôt tout serait fermé.
Une fois les niveaux refaits, le Cantal quitté, et la Corrèze pénétrée, la journée changea complètement de tonalité, pour ne plus quitter la lumière. Les chemins et sentiers qui, depuis notre entrée dans le Morvan, avaient constitué à 90% les voies empruntées pour nous déplacer, furent remplacés par un asphalte de très bonne qualité, le plus souvent. Et pas un bout de plat sur cette étape, donc que du bonheur. Nous étions comme en marge, sur un territoire protégé et béni. J'ai adoré la Corrèze, ses forêts, ses vallées, ses gorges et promontoires radieux où les maisons de pierre se rassemblent en hameaux où il fait bon vivre sur un temps alangui.
A Neuvic, nous sommes tombés en pleine fête du village. Il était midi trente, et la superette locale était encore ouverte, hourra ! Les terrasses de café étaient débordantes de vie bruissante, et un groupe musical mexicain ajoutait une touche sinon locale du moins exotique. Nous mangeâmes et bûmes à satiété, mais sans mollir, à même le trottoir, tout en profitant de l'ambiance.
Puis repartîmes pour une belle après-midi ensoleillée, à passer d'une colline à l'autre, sans interruption. Au fur et à mesure que nous nous rapprochions du lac de St Pardoux, les hameaux devenaient plus opulents, plus bruyants aussi. Notre pause de mi-après-midi se fit à la terrasse d'un café d'antan, toilettes à la porte en bois au fond du jardin, lavage des mains dans le bac de récupération des eaux du toit, coca vendu 1.50 €. La place du village était submergée de doublettes de joueurs de pétanque absorbés. Une compétition était en cours.
Le 13 août nous fut joyeux en Corrèze. Et il me souvient que nous avons rejoint Forgès bien plus vite que je ne l'espérais. Il était 18h30, le restaurant n'était pas encore ouvert, mais nous avons patienté en faisant toilette et lessive dans la fontaine du village, en bord de route fort passagère. Gros coup de panique pour André, qui crut l'espace d'une seconde avoir irrémédiablement perdu son téléphone portable. Il était clair qu'un bon repas, composé de vraies nourritures, nous était nécessaire. Et nous nous sommes régalés à l'auberge où l'accueil fut exemplaire. D'ailleurs pendant que nous étions attablés, Ben est survenu, s'est assis et a commandé un coca et un plat de frites, qui lui furent servis en un temps record et avec un grand sourire.
A 20h30, nous étions repartis en quête d'un lieu de bivouac, à établir aux alentours des 22h00. Quelques côtes bien senties, la nuit qui tombe doucement, le vent qui s'éteint, le ventre plein, toujours un bon moment sur la French Divide que ces premières heures de la soirée.
Cette fois nous avons déroulé matelas et duvets dans l'herbe douce, le ciel étoilé au-dessus de nos têtes. Avec la promesse, enfin, d'une nuit tiède et sans pluie, et d'un réveil par des températures douces. So long!
Images de cette neuvième journée, entre Cantal et Corrèze. Photos Pat.
Jour 10 - Lundi 14 août : de la Corrèze au Lot
De Quatre Routes à Labastide-Marnhac : 160 km, 2434 m deniv+, 11h15 de pédalage. De 5h15 à 22h30. Terrain : de l'asphalte, mais surtout du chemin et du sentier avec le GR de St Jacques de Compostelle retrouvé.
Cette journée fut spéciale. Parce qu'après notre réveil et lever de camp dans une humidité ambiante importante et inattendue, mais pas trop gênante, nous n'avons pas tardé à trouver boulangerie et café ouverts. Parce que la suite de la matinée fut sereine et douce, à suivre les méandres de la Dordogne, au milieu des champs de noyers et maïs. Parce que le café-pub Le Pourquoi Pas ? nous offrit un moment magique propre à la French Divide. Parce que notre pause méridienne, effectuée à l'ombre d'un commerce de produits locaux, à l'écart de la circulation automobile de folie aux alentours de Rocamadour, nous permit enfin de faire sécher duvets, maillots et cuissards de rechange, et de nous régaler de pain et saucisse sèche locaux. Parce que le début d'après-midi écrasé de chaleur et de soleil sur le Causse et le chemin parfois technique de St Jacques, aux cabrages souvent assassins, entre Rocamadour et Labastide-Murat, fut impitoyable. Mais de toute beauté. Parce que la fin d'après-midi, et l'arrivée dans le Lot plus verdoyant et moins sauvage, me permit de retrouver esprit et jambes, et de vivre deux heures de grâce et de solitude bienheureuse. Enfin, et surtout, parce que dans la bonne ville de Cahors, où André m'avait largement devancée au CP3, m'attendaient Pascal, Sébastien, Céline et Samuel - ces deux derniers ayant même retardé leur départ pour Mendionde jusqu'à mon arrivée. Nous eûmes juste le temps de partager un moment terrasse, autour d'une pression, et hop ils reprirent leurs pérégrinations à bord de la voiture étendard, pour une soirée avec Thierry en avant-première du pays basque.
Pascal avait eu la très bonne idée de réserver une table à un restaurant voisin, dans le centre historique de Cahors, et les conversations enjouées de notre quintet, ainsi que l'excellence de la nourriture, et du vin, eurent vite fait de me requinquer. Quel privilège que d'avoir pu profiter de la présence de Sébastien, Pascal et de son épouse, une bouffée d'air frais, d'anecdotes amusantes et de rires. Très bien vu, Pascal. Ton expérience de l'ultra bikepacking t'a fait pressentir ce dont nous avions grandement besoin, André et moi.
Quant à Sébastien, une fois notre bombance achevée, il partit en vélo-plage rejoindre la gare pour attraper un train, retour à Lille, pour profiter de la fin de ses vacances avec son fils, la grande partie de ses congés ayant été dévorée par son bénévolat sur la French Divide, aux côtés de son frère Samuel, de Céline, de Lionel, Clément, Thibault et Damien, tous passionnément engagés à fond pour les French Dividers, sans retenue, avec un sens de l'amitié, du partage et du don absolument exemplaires. Comme Sébastien, notre équipe organisatrice a consacré ses congés d'été à notre épopée, pour notre plus grand bonheur. Avec un sourire énorme toujours, une gentillesse et un calme jamais démentis, et un professionalisme de tous les instants. Avec souplesse, mais aussi avec exigence et en veillant que personne ne déborde du cadre défini. J'ai rarement vu plus grande efficacité et endurance au long cours. Il est bien évident que ce sont eux qui font de la French Divide un évènement à part, dans le paysage du vtt ultra distance en autonomie complète. Mario le dit très bien dans son récit de sa FD#2, rédigé en anglais. Pour ma part, anticiper de les revoir à chaque checkpoint fut une vraie joie, une gourmandise savourée tout au long des kilomètres des étapes m' ayant menée à Epernay, Quarré-les-Tombes, Cahors, puis enfin Mendionde. Ils sont parfaits, et nous les Dividers ne pouvons que les remercier encore et encore - ils nous ont offert un cadeau hors catégorie, un cadeau inespéré, inédit, totalement fou. J'y pense et repense, encore et encore, depuis notre retour de Mendionde, toujours avec beaucoup d'émotion et de gratitude, et à mes yeux les vrais héros de la French Divide ce sont eux.
Voilà, c"est dit.
Nous repartîmes de Cahors avec la gambette légère, encore deux gros talus, à la recherche d'un toît pour la nuit, que nous trouvâmes sans difficultés une dizaine de km plus loin, derrière la salle des fêtes d'un hameau. Bien nous en prit car un violent orage éclata dans la nuit - et qu'il fut bon d'entendre le tonnerre, puis la pluie tomber, et de pouvoir me rendormir instantanément dans mon duvet, sous cet abri de jardinier de la municipalité. Luxe et volupté !
Les rares images de cette dixième journée, entre Corrèze et Lot. Photos Pat.
Jour 11 - Mardi 15 août : du Lot au Gers
De Labastide-Marnhac à Samatan : 173 km, 2200 m deniv+, 12h00 de pédalage. De 5h00 à 22h30. Terrain : chemins et sentiers, puis pas mal de routes. Météo : agréable en matinée, nombreuses averses orageuses l'après-midi, et un méga orage en soirée.
Je ne me souviens plus s'il pleuvait encore lorsque j'enfourchai mon Stump. Une chose est sûre, il faisait encore noir. André n'ayant pas encore fini ses rangements, je lui dis à plus tard. J'étais en mode pilote automatique. Peu après j'ai réalisé que c'était le jour de mon anniversaire - 61 ans. Je me promis une belle journée et congédiai l'idée de malchance souvent attachée à nos quinze août, balivernes que tout cela. C'est le jour où je suis née, où mes parents m'ont accueillie en ce monde, il sera splendide donc, et sous le signe de l'amour, n'est-ce pas ma belle Maman ? J'ai cette habitude durant mes périples d'invoquer les êtres aimés disparus, de convoquer le souvenir de leurs visages ou expressions ou paroles, et de puiser de la force là où nous nous aventurons peu souvent. Etrange, sûrement, mais j'imagine que nous le faisons tous.
Me reviennent ensuite les images d'une descente assez abrupte, pierreuse et avec des marches - ainsi que cette réflexion intérieure, comme détachée de moi "ah bien c'est du costaud au réveil, va falloir faire gaffe ma belle, pas le moment de te répandre". Cela a dû être efficace et stimuler ma sécrétion d'adrénaline, car je suis passée sans encombres. Ensuite, dans mon oeuvre de mémoire, surgit l'image étrange d'un couple de chevaux de monte, au milieu du chemin, immobiles, tournés l'un vers l'autre, comme des amoureux. Je les ai dérangés le moins possible, juste un hennissement au passage, répété quelques secondes plus tard, André était sur mes talons. Un peu plus loin, ou un peu avant, des voitures garées en plein milieu du chemin, coffres ouverts mais pas de signe de vie. Ah ?!
Puis le jour s'est levé sur cette belle campagne du Quercy blanc, tranquille et douce. Et avant que la faim ou le besoin d'un café bien serré ne deviennent trop pressants, le petit bonheur du Nid des Anges, gîte municipal, à l'entrée du village de Lascabanes. Echanges avec des randonneurs suisses, petit déjeuner au soleil, trop bon. Le GR 65, que nous allions suivre jusqu'à Moissac, via la magnifique ville de Lauzerte, a donné beaucoup de charme à notre matinée. Et fut générateur de surprise, comme cette montée de oufs à effectuer en poussant le vélo, réminiscente de celle au sortir de La Bourboule, et démarrée sous des cris d'encouragements rythmés, probablement poussés par un afficionado de la French Divide, resté invisible. Ambiance décalée. Chaud, chaud, mais marrant !
En accord avec mes prévisions - trop bien quand tout se déroule comme sur des roulettes, nous voici à Lauzerte mi matinée, et nous pouvons faire le plein de provisions liquides et solides au supermarché, ouvert en ce matin du 15 août. Piles, jus de pomme, eaux minérales gazeuses, jambon et fromage, pain, barres chocolatées et compotes, cake et gâteaux de riz : nous sommes maintenant parfaitement rodés, voire routiniers. Une fois encore, nous engloutissons notre ration glucidique, préparons les sandwiches, refaisons nos paquetages, à même le sol, devant l'entrée du magasin. Nous sommes dans un monde parallèle au tohu-bohu de la ville, touristique à souhaits.
Puis entre Lauzerte et Moissac, ce furent les arbres fruitiers, les énormes prunes tant vantées par Pascal, les pêches, les nectarines, les pommes, les poires, les kiwis. Je n'ai pas daigné m'arrêter, André si.Encore quelques côtes par ici et par là, toujours sur les chemins et pistes. Une ou deux averses aussi, je crois. Amusant comme à retracer cette fin de matinée, certaines images précises et détaillées émergent, et que tout le reste se fait confus et indistinct - le sentiment que seul le paysage était en mouvement, et que mon vélo et moi étions immobiles. Comme dans le théâtre d'ombres. Ou bien est-ce le contraire ? Après Moissac, ville traversée sans arrêt, retour à l'asphalte et le plat. Beurk.
A Caumont, nous prenons notre pause déjeuner au lavoir, là où la trace s'arrête. Et je m'accorde même un peu de détente et étirements. Je prends de l'avance dans la côte qui suit, et suis contrainte à m'abriter sous un arbre, le ciel se déchaine. Une fois, deux fois. La troisième fois, je rejoins déjà bien trempée un arbre au sommet d'une colline, dans un minuscule hameau sur la commune de Séverac. André arrive, nous tentons de remplir nos gourdes en les tenant sous les filets d'eau qui s'écoulent du toit le plus proche. Pas probant notre système de récupération, je me décide à aller demander de l'eau lorsque la porte de la villa voisine s'ouvre. Une dame nous fait signe de la rejoindre. Autre surprise de la French Divide : nous sommes invités à venir boire un café, et à remplir nos gourdes. Petit moment de grâce. Nous apprenons que deux autres Dividers ont trouvé abri dans le hameau hier au soir, et se sont même vus offrir de coucher dans une chambre.
Nous voici repartis, une fois la pluie calmée et après une photo de nos bienfaiteurs du jour. Suivront toute une série de montées courtes plus ou moins abruptes, les jambes tournent bien, et je me délecte de quelques morceaux choisis de Placebo, Archive et Radiohead. Ce fut la seule et unique fois où j'écoutai mes morceaux choisis, ce fut délicieux et donna du rythme et de l'intérêt au paysage de la Haute Garonne. A Cox, surprise de voir un café ouvert - arrêt obligatoire. Une toute jeune fille nous sert, elle est adorable et nous parle de son père, un passionné de vélo.
Puis ce fut l'Isle-Jourdain en fin d'après-midi et un détour par le centre ville, dans l'espoir de trouver une pizzéria. Hélas, il faut attendre une heure pour avoir une pizza, en cette soirée du 15 août. Nous nous contentons d'une pression et d'un jus de fruit à la brasserie du coin. Je mange la moitié du seul sandwich qui me reste.
Plus loin, en suivant un single en bord de ruisseau, dans le faisceau de ma lumière : une boite avec l'affiche "French Divide : servez-vous" ! André était passé devant sans rien voir, je le hèle, il met du temps à comprendre, je suis déjà à genoux par terre en train d'ouvrir la boîte aux trésors....compotes, berlingots de jus de fruits, pain d'épices, crackers salés...manifestement cet ange de la French Divide est un vététiste averti et sait quoi offrir à des collègues affamés. Je gribouille un message de remerciements sur le bloc notes trouvé dans la boîte, je pourrais l'embrasser notre ange s'il était là. Nous apprendrons ensuite, via Facebook, que notre bienfaiteur se nomme Hervé.
Nous sommes regonflés à bloc par un tel geste, une telle gentillesse. Un brin trop euphoriques d'ailleurs car André bascule sur le dos en contrebas de l'étroit sentier en dévers - sa lumière s'est brusquement éteinte. Heureusement sa chute n'a pas de conséquence dramatique, et nous reprenons notre progression avec vigilance. Il fait doux, bon, et nous avons envie de poursuivre plus avant sur la route, aussi loin que nous pouvons et bien au-delà des 22h00. Nous devisons gaiement. Zébrure de lumière dans le ciel, flash de couleurs. Un feu d'artifice ? Un claquement puis un grondement de tonnerre comme j'en ai rarement entendus. Une fois, deux fois, trois fois. Nous sentons l'urgence à trouver un abri au plus vite. Je n'en mène pas large, fort à propos un panneau nous indique que la ville de Samatan est toute proche. Nous trouvons un abri bus sur le foirail, pile au moment où la pluie se déchaine. Notre soirée festive pédalage total peut être oubliée, le ciel est détraqué pour un bon bout de temps. J'aperçois le clocher imposant d'une église, allons voir si jamais. Et oui, l'église dispose d'un gigantesque porche surplombant une volée d'escaliers. Nous empoignons nos vélos et nous retrouvons au sec, soulagés. Certes mégots et odeurs d'urine entachent un peu l'agrément du lieu. Je fais un peu de ménage avant d'étaler couverture de survie, matelas et duvet, un brossage de dents, et hop in the pocket, à côté de mon André. Nirvana sous le porche de l'église, le son d'une pluie battante dans les oreilles. Délicieux ! Pensée reconnaissante à la Providence, mon anniversaire a été un jour d'offrandes, gratitude. Deux minutes plus tard, je suis au royaume des songes. Tout est bien qui finit bien.
Trio d'images de cette onzième journée, entre Lot et Gers. Photos Pat.
Jour 12 - Mercredi 16 août : du Gers aux Hautes Pyrénées
De Samatan au Lac de Payolle : 135 km, 2865m deniv+, 11h00 de pédalage. De 5h30 à 22h30. Terrain : surtout de la route le matin, puis chemins forestiers et sentiers monotraces ensuite. Météo : pluie le matin ; pluie encore l'après-midi, humidité maximale et brouillard ensuite, pas aperçu le bout d'un sommet pyrénéen de la journée.
Samatan est encore plongé dans le sommeil lorsque nous quittons notre porche. Dans la rue principale, de la lumière brille dans une boulangerie, mais je ne sais pourquoi aucune envie de viennoiseries, surtout pressée de tailler la route, encore luisante des pluies nocturnes. Deux heures plus tard et quelques côtes dans les jambes plus loin, une fois André disparu de ma vue pour se mesurer à Daniele passé en boulet de canon à côté de nous, aux sons des craquements et grincements de sa boîte de pédalier, une pluie fine et drue me cinglait le visage. Je désespérais de trouver un café accueillant où me réfugier et me sustanter. Une piste pas mal défonçée en bordure d'un lac plombé par le gris du ciel, un horizon bouché, une campagne vide d'habitations, le temps s'étire. Je patiente, ma résistance à l'impatience s'amenuise. Trois promeneurs et leurs chiens, incongrus dans ce décor d'isolement, des bonjours échangés à la volée, je reprends espoir. Sûrement que plus loin. Mais non, alors je me résigne et appuie sur les pédales pour retrouver un peu de chaleur au creux des intempéries. Je prends refuge dans le méandre de mes méditations, parfois interrompues par cette question, en boucle. "Et pourquoi tu ne t'es pas arrêtée à la boulangerie ?". Interrogation à moi-même, identique à bien d'autres, revenues comme un leitmotiv tout au long de la French Divide alors que je n'étais pas sans savoir qu'il fallait profiter de la moindre opportunité de ravitaillement.
La cause de ces choix répétés et bien mal avisés d'attendre une occasion plus lointaine de ravitailler ? Sûrement mon désir désormais profond d'avancer contre la montre, ou alors ma répugnance à ne pas briser le rythme intérieur instauré, qui me berce et me nourrit, en accord avec mon souffle et ma pédalée ? Ou bien encore une entreprise de résistance toute personnelle, celle de ne pas céder aux moindres caprices de mon corps et de mon cerveau ? Je ne sais, ne le saurai sans doute jamais, je me contente de faire avec mes choix imparfaits, quelle importance après tout ?
Une heure plus tard, voici le panneau de Cassagnabère, la fin de la section débutée à Caumont est là alors que je la pensais beaucoup plus distante. Et voilà le Fate d'André, et André qui me fait signe, debout sur le trottoir et en discussion avec un habitant du village. Tiens, pourquoi m'attend-il ici sous la pluie ? Je vois la tasse qu'il tient en main, il n'a pas l'air d'avoir chaud, mon André. Il semblerait qu'il n'y ait aucun commerce à Cassagnabère, peut-être le camping ? Je me souviens avoir enregistré cela lors de mes rapides recherches pour établir une feuille de route schématique, la semaine avant la FD. L'homme confirme. Je continue mon chemin, André me rejoint, flanqué de son nouveau compagnon canin, et bientôt nous tournons à gauche, dans le camping au nombre d'étoiles maximum. Direction l'espace de vie commune, je suis certaine que nous y trouverons un bar ou une épicerie. Bingo. Bibliothèque, espace wifi, fauteuils et sofas spacieux et confortables, tables coquettes, bar stylé, piscine. Pas le genre de camping que nous fréquentons d'habitude, mais là je suis aux anges. Commotion au bar, le chien entré avec nous bouscule tout sur son passage. Le problème est vite résolu, son maître est connu des propriétaires de l'établissement. Est-il possible d'avoir un café ? Oui. Je lorgne sur les sacs de viennoiserie et pains disposés sur une grande table à l'entrée. Est-il possible d'avoir un petit-déjeuner ? Non, je suis désolée, tout est réservé et nous n'avons plus de pain. J'avise un rayon de produits locaux, plusieurs rangées de pâtés de canard, d'oie, ou foie gras. J'opte pour le canard, tant pis pour le pain. Quelques minutes plus tard, la propriétaire nous amène une baguette de la veille.
Une fois encore, tout est bien qui finit bien. Nous engloutirons cafés, jus de fruit, baguette, pâté et confiture à une allure record, tout en ôtant nos tenues trempées pour de plus sèches, après avoir procédé à une toilette rapide. Pendant qu'André consulte FB, je me penche sur la section à venir, charge la nouvelle trace sur mon Etrex 35, remet de l'ordre dans mon paquetage, etc. Le moindre arrêt est mis à profit, nous pratiquons la multi-activités. En fait, il est tellement bon d'aller et venir en marchant, de rester debout ou de s'activer, de se pencher, de s'agenouiller, de s'étirer, afin de rompre avec nos 11 ou 12 heures quotidiennes passées à pédaler, que je n'avais jamais très envie de demeurer sur un siège.
Le seul hic lors de nos arrêts : nos mains sont de plus en plus maladroites, nos doigts de plus en plus gourds et insensibles, la préhension est sans force, je suis devenue incapable de faire de nombreux gestes comme remonter une fermeture éclair, boutonner ou déboutonner, visser ou dévisser, tirer. Mes pinces pouce-index sont lettres mortes, et André est pareillement gêné. La moindre action à accomplir lors de nos arrêts exige que nous nous y reprenions à plusieurs fois. C'est un handicap, vécu comme une source d'insécurité en ce qui me concerne, et qui ne nous quittera plus jusqu'à la fin de la Divide. Et pourtant je me suis astreinte à de fréquents exercices de mobilité des doigts, du poignet et de la main, tout en roulant, et depuis le début. Probablement des effets secondaires du froid et de la pluie depuis notre entrée dans le Morvan.
Repartis après dix heures, nous n'avons pas tardé à être rattrapés par Anna, d'abord, puis par Graham. Nous avons enfin pu faire connaissance - j'avais contacté Anna via son blog Biking for Brioche quelques mois auparavant, et échanger gaiement quelques propos sur nos mésaventures de la veille à Samatan, où ils avaient éprouvé la peur de leur vie lorsqu'ils avaient été coursés par un berger allemand, alors qu'ils cherchaient une grange pour s'abriter de l'orage. Rapidement, j'ai dû me résoudre à les laisser aller, converser et rire tout en montant les bosses me faisait risquer l'apoplexie. Anna est un phénomène, Graham me l'a confirmé ensuite. Il m'a confié avoir parfois du mal à la suivre en descente tant elle a une lecture parfaite de la trajectoire à suivre. Et en montée, elle a une capacité stupéfiante à enrouler dans les bosses, si souple, si souveraine - trop belle. Nouvelle venue au bikepacking, et à l'ultra, elle a fourbi ses armes de compétitrice dans les courses CX en Angleterre depuis deux ans, et chacun sait quel enfer ces courses peuvent être. Ce qui ne l'a pas empêchée de souvent dominer ses concurrentes. Tous les deux sont juste adorables et ils ont laissé une empreinte définitive à nos souvenirs des derniers jours de notre Divide.
D'ailleurs nous les avons retrouvés à la boulangerie-sandwicherie dans la zone commerciale après Ausson, à l'heure du déjeuner. Une fois encore, opération glucides frénétique, d'autant que je me doutais de ce qui nous attendait : la montée sur le Pas de Teil, par des chemins et monotraces détrempés, dans un premier temps. Puis la montée du col de Beyrède par une piste forestière.
La séquence pyrénéenne avec frissons garantis n'allait pas tarder à débuter. Au fur et à mesure des difficultés rencontrées dans le Morvan, puis le Massif Central, plus importantes que celles escomptées, les sections pyrénéennes et basques faisaient figure d'épouvantail. Samuel nous ayant mis en garde lors du briefing d'avant-course, je savais mon juge de paix là. Depuis la Tour d'Auvergne, je m'apprêtais en silence à en baver comme jamais auparavant dans ma vie de cycliste. Une chose est sûre, je ne fus pas déçue.
Appareils rechargés, ventres lestés, cafés avalés, provisions rangées, rapides ablutions bouclées, nous repartons sans avoir trop tardé - Graham et Anna, eux, peuvent profiter de la chaude boulangerie plus longtemps. Nous avons pour objectif du soir le lac de Payolle. Il ne faut donc pas moisir, si nous voulons faire une pause de fin d'après-midi à Sarrancolin avant l'ascension du col de Bereyde. Mais pour l'instant, direction St Bertrand de Comminges, puis le Pas de Teil.
Rien n'a changé : humidité, brouillard, pluie fine par intermittence. Rien de surprenant pour les Pyrénées.
Une grande route passagère, un pédalage appuyé, le corps remonte en température et nous sommes vite sur des routes secondaires, ponctuées de petits villages aux nombreuses maisons fermées. Après Nestier, petite route qui s'envole. Je me réjouis, me dis que le Pas de Teil sera rapidement derrière nous sur ce revêtement. Je me cale dans mon espace temps, prête à savourer une tranquille ascension. Bifurcation à droite, retrouvailles avec la terre et un sentier qui se cabre, racines et pierres sont glissantes. Aie, cela va être plus ardu que prévu. Un peu de poussage, mais la forêt est belle et sauvage, alors le contentement prévaut. Puis une descente sur un monotrace technique et piégeux. Nous descendons avec prudence, le monotrace s'aplanit, pas les difficultés, et nous sommes toujours en sous-bois humides, appliqués à ne pas glisser, ne pas partir en dérapage incontrôlé.
Bientôt nous rejoignons une piste forestière ravinée et aux pourcentages insistants par endroits. Je devine que là commence la véritable ascension sur le Pas de Teil. J'alterne moments sur et hors vélo, afin de soulager dos et genoux, et faire travailler des muscles différents. André est facile, et pas du genre à pousser. Mais au final, il ne gagne pas tant de terrain que cela sur moi. Evocation de notre ascencion du Parpaillon, en juillet, et en compagnie de Florian - un cycliste rencontré au bas du col muletier avait poussé son vélo jusqu'au sommet. Espère ne pas en faire autant. Mémoire du ciel bleu ensoleillé de l'Ubaye. Contraste avec ce coin des Pyrénées, sans horizon aucun, sinon celui de mon application à grignoter la pente.
Après plus d'une heure d'efforts, voici Anna et Graham. Faciles et plein de grâce. Je me régale du spectacle. Encore trente minutes d'efforts, rythmés par les encouragements d'André. La cabane du Pas de Teil, que j'avais repérée sur la carte - toujours amusante cette actualisation dans la réalité d'un repère cartographique, ma veste de pluie enfilée, et hop nous filons dans la descente, rapide. Du pur plaisir en barre.
Pétard, ce que j'ai adoré toutes les descentes de la French Divide, ce sentiment de dégringoler à toute vitesse, de ne plus sentir le poids du vélo et surtout des sacoches, de rompre avec la lenteur ascencionnelle qui était la mienne. Je crois bien que j'ai toujours été hilare au guidon de mon Stump, ivre de légèreté. Avec une assurance magnifique, ancrée dans le sol par le poids de mon Stump.
Avant Larrieu, une fois l'asphalte retrouvé, nous suivons une bande de chevaux pyrénéens, en pleine cavalcade, crinières au vent - magique. Leurs hennissements. Le bruit de leurs sabots sur le goudron - mais à la réflexion, avaient-ils des sabots ? Ils rentrent dans un champ, puis en ressortent sous les directives du fermier, et cette fois nous poursuivent. Belle galopade, belle rigolade.
Bientôt nous voici à Sarrancolin, traversé par une route à forte circulation. Retour à la civilisation. Il est environ 16h30. Sur la place du village, une heure de pause, occupée à changer les plaquettes de mon frein avant, usées jusqu'à la corde, faire les courses et les pleins de nourriture, boissons, etc. Train train de nos instants citadins.
Nous repartons, soulagés de nous éloigner de ce bruit infernal de circulation automobile - ah un monde sans voitures ! Comment les villageois font-ils pour s'accomoder de ce cauchemar ?
Dès son entame, le col de Beyrède ne fait pas dans le compromis. Heureusement les premiers virages se font sur l'asphalte et permettent au moteur et aux jambes de monter en température sans risquer l'explosion. A l'approche de la carrière, cependant, démarre la piste qui laisse la route filer sur la droite. Comme pour le Pas de Teil, j'alterne poussage et pédalage dans la première partie très pentue, et me configure pour deux heures d'efforts. Rapidement arrive une portion plus plane en balcon, mais aucun horizon sinon celui du brouillard rendu plus pregnant encore par la Neste qui s'écoule dans la vallée. La fraicheur s'installe, je suis heureuse d'être là, de goûter à nouveau à la magie pyrénéenne, à cette nature qui toujours emprunte de la sauvagerie. La pente se fait rude à nouveau, cela ne change rien à mon état bienheureux. Et que dire de notre débouché au sommet du Beyrède ? Fabuleux, dans ce brouillard. Ambiance irréelle. Envoûtante. Avec le sentiment du devoir accompli en prime, et la perspective d'une belle descente sur le lac de Payolle. Nous empruntons une piste forestière, puis une portion de route, puis à nouveau une piste forestière. Descente, montée, descente. Aucune voiture, nous sommes seuls au monde, avec les vaches et le brouillard et les arbres. Monde enchanté.
Voici le lac de Payolle. Quelques camping-cars sont là, quelques campeurs également, tous sont emmitouflés, silhouettes sombres et peu vraisemblables. André est en pleine effervescence, il enquille la piste qui prend à hauteur de l'Auberge du Lac à toute allure, sans se poser de question. Je le suis à quelques encablures, inquiète car il nous faut faire le point avant de poursuivre. J'ignore tout de la suite du menu concocté par notre diable de Samuel. Un peu plus haut, arrêt casse-croûte. Un sandwich chacun. Je lis mes notes, réussis à consulter la carte sur MountNPass. Clair que nous allons 'into the wild'. Pas d'abri, et vraiment pas envie de coucher dans le duvet, sur un sol d'estive saturé d'humidité, dans le froid et le brouillard. Je prêche pour un retour au Gîte-Auberge, oublieuse de ma décision quatre ou cinq jours plus tôt de toujours coucher en plein air. André obtempère, ouf !
Nous pénétrons dans la salle du restaurant de l'Auberge. Un copain Divider, Philippe Hermant, est attablé seul, il vient d'en finir avec son plat principal. Il fait chaud, la cuisine a l'air délicieuse. Je suis soulagée, et laisse aller. Le patron survient, nous lui demandons s'il est possible de manger. Refus, tout est rangé. Il est à peine 21h00. Une pression alors ? Oui, cela il peut. Et une chambre ou deux couchettes pour la nuit ? Non, impossible, seulement pour deux nuits, et il faut réserver à l'avance, mais il veut bien nous offrir un emplacement camping. Je lui explique que nous n'avons pas de tente, il ne comprend pas - il n'est pas le pemier d'ailleurs. Je suis gagnée par une certaine tension. Philippe sent mon agacement, nous souffle que les sanitaires du camping sont suffisamment vastes pour que nous puissions y coucher. Ouf, nous serons au sec cette nuit.
Sur ces entrefaites, survient Daniele, jeune Divider expérimenté et haut en couleurs venu d'Italie. Il hèle le propriétaire dès son entrée dans le restaurant. En anglais. Un échange totalement improbable a lieu, entre Daniele qui gesticule et articule de plus en plus fort devant le refus qui lui est fait de lui permettre de coucher ici, et le propriétaire qui s'offusque de sa demande et de son incapacité à parler français.
Je ne connaissais pas Daniele, ne savais pas encore que c'était lui qui nous avait doublés le matin même, de manière aussi pétaradante, mais Pascal m'avait souvent parlé de lui. Je me souviendrai longtemps de son arrivée à l'Auberge du Lac de Payolle. Je l'ai adoré de suite - le verbe assuré, les idées bien en place, peur de rien ni de personne, et le visage d'un ange. Si vrai, si réel, si heureux, si généreux, si enthousiaste, si en phase avec lui-même. Une seule minute et tu converses avec lui comme s'il avait toujours fait partie de ta vie, de ta famille. Quel bonheur !
Une fois que je lui eus expliqué notre plan couchage, il consentit à s'asseoir, prendre une pression et déballer ses victuailles. Il avait acheté un sac à dos afin de le bourrer de provisions à Sarrancolin. Philippe était parti se coucher, nous sommes restés un moment à deviser et rire au chaud puis direction les sanitaires où André nous avait devancés. Ce fut notre plus beau bivouac. Au chaud, sous les lavabos, à côté des douches. Ah la douche chaude avant de se glisser dans le duvet, les appareils en charge à proximité, les vélos garés et attachés dans une pièce adjacente. Certes la lumière en plein visage une bonne partie de la nuit, car déclenchée par le moindre mouvement. Mais pas d'effet perturbateur sur mon sommeil. Non plus que la pensée du Tourmalet qui nous attendait au petit matin. Le bonheur de m'endormir ainsi, du sommeil du juste, libre de tout souci. Epilogue rêvé à une longue journée de liberté sur le vélo.
Images de cette douzième journée, entre Gers et Hautes Pyrénées. Photos André et Pat.
Jour 13 - Jeudi 17 août : des Hautes Pyrénées aux Pyrénées Atlantiques, en passant par le Tourmalet et Lourdes.
Du lac de Payolle à Sainte Colome : 140 km, 3500 m dénivelé +. 12h30 de pédalage. De 5h00 à 23h00. Terrain : mixte, de tout ! Météo : ciel bleu, soleil, chaleur.
J'émerge doucement de mon sommeil de plomb, alertée par des bruits feutrés de mouvement, dieu qui est déjà prêt à se jeter dans la nuit noire et humide ? Daniele bien sûr. Totalement, irrémédiablement malades, ces Dividers.
L'espace d'une seconde, la tentation féroce de rester là dans ces sanitaires, au chaud dans mon duvet, de laisser tomber, de me rendormir jusqu'à plus sommeil. La French Divide est un acte de résistance. Aux appels des sirènes de l'inertie paresseuse, à leurs suaves mélopées oiseuses, à la douceur de leurs bras tendus. Telle les compagnons d'Ulysse, j'allais oreilles bouchées parfois.
D'autres fois, je me soumettais à la question - qu'est-ce qui est vraiment moi, arrêter ou continuer ? Liberté de questionnement que toujours je me suis donnée, ne serait-ce que pour éprouver la joie de souscrire à nouveau à ce contrat entre moi-même et la French Divide, en pleine connaissance de cause, même si je m'étais auto-programmée depuis bien longtemps à toujours continuer, coûte que coûte, vaille que vaille. L'aventure n'est-elle pas toute entière à cette croisée des possibles ?
Je sens André bouger à côté de moi, il est l'heure, 5h00 du mat'. Le Tourmalet nous attend. Je n'en ai pas envie du tout de ce Tourmalet, mais alors là pas du tout, seul le désir d'en avoir fini avec lui et de m'en libérer me pousse à sortir de mon duvet. En fait, je suis impatiente de lui régler son compte à ce col que je n'aime pas.
Quelques pas pour m'étirer, et j'aperçois Daniele sur le départ : gestes chaleureux d'au revoir, chuchotements, à nos pieds son offrande de deux pains au chocolat, sourires ravis.
Nos trente minutes rituelles de rangement et préparatifs plus tard, nous quittons la chaleur des sanitaires du camping des Quatre Véziaux.
Obscurité et brouillard nous enveloppent silencieusement.
Merveilleux premiers tours de roue en montée dans cette ambiance magique du lac de Payolle, sur les chemins puis les sentiers des estives où les vaches sont encore couchées pour la plupart, nous saluant d'un vague mugissement à notre passage. L'idée du Tourmalet qui m'attend là-haut ne me quitte pas, et prête une intensité nouvelle à mes pensées rêveuses.
Je suis André de manière mécanique. Sursaut : une petite erreur d'aiguillage de mon éclaireur, qui peste, me rappelle à la réalité des sentiers brumeux. Ah les mises en route ne sont pas toujours aisées, nos cerveaux ne sont pas encore tout à fait aiguisés. Nous poursuivons en silence, je laisse du champ et goûte à cette sérénité de la montagne. Bruit de pneus, de souffle. Je jette un regard en arrière, une vague silhouette de cycliste à vélo un peu plus bas, qui d'autre qu'un Divider à cette heure aussi matinale ? Philippe Hermant ?
Un peu plus loin, ce bikepacker mystérieux se dévoile : Philippe Moulin. Lui aussi a dormi au camping des Quatre Véziaux, après une arrivée très tardive dans la nuit. Je me souviens alors que c'est lui dont la famille s'inquiétait car laissés sans nouvelles. Samuel m'avait téléphoné pour me demander si je l'avais vu, quatre jours auparavant. Nous finissons la montée ensemble et attaquons une descente dans le sillage d'André. Philippe ayant semble-t-il besoin de parler, je l'écoute. Exclamation de Philippe, trace quittée. Arrêt rapide, André nous rassure, les écarts entre nos deux lignes conductrices sur l'écran gps sont effectivement fréquents. Philippe poursuit en trombe, je reste à l'arrière et surveille mon écran. Bingo, pas du tout le bon chemin. Je crie à pleins poumons pour avertir André et Philippe, peine perdue, j'accélère pour les rattraper et les prévenir, ils s'éloignent encore. Je persiste, je fulmine, nom de nom va falloir remonter tout ça, peuvent pas faire attention ?! Enfin, André m'entend et s'arrête. Mais pas Philippe. Tant pis. Notre duo fait demi-tour....fallait pas chercher à me prévenir, t'avais qu'à faire demi-tour...pas de souci, mon André, je me le tiens pour dit. D'autant que lui monte facilement et me laisse en plan.
Ma belle sérénité se trouve quelque peu écornée, mais pas pour longtemps. Le terrain requiert bientôt toute mon attention, avec un chemin étroit en forêt, en bord de ravin, avec des fondrières, des racines humides et glissantes, et des pierres évidemment mal placées. Et bientôt, après une petite descente , nous sommes à Artigues et passons devant l'Auberge des Cascades.
Arrêt obligé, pour un petit-déjeuner servi rapidement, par un aubergiste de mauvais poil et au visage fermé, et qui nous sera taxé plein pot malgré la quasi-absence de pain. La conversation agréable de son épouse atténue le tranchant de l'accueil. Etrange ce coin des Pyrénées, où l'amabilité est déplacée.
Nous nous apprêtons à partir lorsque Philippe survient. Il n'aura pas trop perdu de temps, tant mieux. Et il ne semble pas trop nous en vouloir, à la bonne heure.
Nous voici sur la route qui mène à La Mongie, puis au col. Cette ascension du Tourmalet par la route, sur mon VTT semi-rigide lesté de bagages, je l'ai détestée de la première à la dernière minute. Scotchée au bitume, condamnée à voir quelques routiers ailés m'enfumer. Heureusement il était encore trop tôt pour que je sois doublée par des légions entières. Maudissant chaque minute de pédalage, que le temps me sembla long et l'ascension épuisante. Deux heures totalement privées de plaisir, une vraie purge. Seules quelques brebis, occupées à se nourrir ou couchées les unes contre les autres sur la route au soleil, m'ont redonné un semblant de sourire. Pas pour longtemps car un chien échappé a bien failli me jeter à terre peu avant le sommet. Inquiet, André m'attendait impatiemment depuis plus de trente minutes au sommet.
Sous Octave le Géant, j'ai pleuré de rage et d'épuisement, puis tenté un sourire pour le selfie de circonstance, preuve de notre passage à ce dernier checkpoint de la French Divide. Ironie du Tourmalet : je présente le même visage renfrogné que les aubergistes d'Artigues et du lac Payolle. Le Tourmalet me serait-il maléfique ? Quelques mots pour expliquer mon aversion du Tourmalet : trop de monde, trop de cyclistes, trop de voitures, des stations tueuses de rêve, et le souvenir d'un final d'une Etape du Tour à l'agonie. Ses 2115 mètres d'altitude ne me font pas envie. Vous l'aurez compris, l'ascension du Tourmalet par la route est le truc de la French Divide que j'ai détesté.
Par contre, j'adore le descendre ce Tourmalet. Alors vite, un coupe-vent et à moi la longue descente. Barèges, Luz Saint Sauveur, un tohu-bohu touristique stupéfiant. Nous filons. Le pont Napoléon : il est mi-matinée, un arrêt restauration s'impose en terrasse. Chaleur, soleil, je reprends mes couleurs et retrouve ma bonne humeur. Après un gros sandwich, un coca et un café, je suis même euphorique. Le Tourmalet n'est déjà plus qu'un lointain cauchemar. Nous devisons gaiement. Sûrement nous serons à Lourdes aux alentours des 14h00, peut-être même que Benoît et Marie-Laure nous attendront quelque part. Et ce soir nous serons loin en pays basque.
Euphorie et projections, les deux mamelles de la désillusion et du découragement, pires que les sirènes de l'inertie paresseuse. Pas faute de le savoir, pourtant. Les heures qui allaient suivre, entre Luz Saint Sauveur et Lourdes, en furent une illustration parfaite.
Cette treizième journée fut celle de tous les dangers, celle où je succombai à mes démons, ceux-là même que je m'étais entraînée à toujours tenir en respect, pendant les longs mois de préparation à la French Divide. Mais ils ne m'ont pas terrassée. Sûrement en raison de cette minutieuse préparation. Prévoir les mouvements de l'adversaire pour l'exterminer. La French Divide n'est pas un long fleuve tranquille, elle exige des êtres aguerris. Et c'est la source de sa magnificence car, en retour, elle donne un sentiment d'accomplissement à nul autre pareil.
Nous quittons le snack du pont Napoléon avec l'idée de ne faire qu'une bouchée de la distance qui nous sépare de Lourdes. Après avoir longé le Gave sur sa rive gauche, nous traversons rive droite et attaquons une succession de petites côtes qui nous baladent de Saligos à Chèze, jolis bourgs blottis à flanc de montagne. Il fait beau et bon, et l'heure est à la joie. Il fait soif aussi. Retour momentané sur la grand route, puis c'est le tour de Villelongue. Un peu plus loin, un autre bourg et une auberge d'où s'échappent de merveilleuses odeurs. Nous passons notre chemin, stoïques. Lourdes n'est plus très loin, nous y serons dans une heure. D'autres bourgs, nous nous rapprochons d'Argelès-Gazost. J'ai faim, j'ai soif, André également, une fontaine, une barre mars ou autre snack, de la gaieté toujours, et c'est reparti. Un passage marécageux où j'ai bien failli me planter grave - ah ?!
Je me dis que nous allons bientôt trouver la piste cyclable, et que dans 45 minutes, allez à tout cracher 60 minutes, nous serons à Lourdes. Il est 14 heures et je ferais bien avec un bon repas, et une énorme pression - pétard ce que j'ai soif, et déjà presque plus rien à boire. A hauteur d'Argelès-Gazost, nous commençons à monter dur en direction de Silhen, puis un autre village, et encore un bon gros raidard en vue. La piste cyclable n'est plus à l'ordre du jour. Va falloir faire avec, tu n'as pas le choix, c'est parti pour une nouvelle surprise samuelesque.
L'endroit est beau et sauvage. André est à quelques encablures devant moi, je le suis sans regarder mon gps jusqu'au haut de la côte, pas là, demi-tour, nous prenons par un pré pour retrouver la trace. Arghh tout ce raidillon pour rien, un chemin de terre étroit qui s'ouvre à nous en surplomb de la montée, un arbre à droite, allez à fond les manettes. Un quart de seconde plus tard, je gis dans un buisson de ronces suspendu au-dessus de la route, sur le dos. Hurlements, de douleur, de peur, de colère, mais aussi pour avertir André. Je ne peux absolument pas bouger, coincée comme je le suis sous le vélo. Les épines me lacèrent un peu plus à chaque mouvement, le vide en-desous. Pas dans la panade, moi, si jamais André ne m'entend pas. Je n'ai jamais hurlé aussi fort, je crois. Mon preux chevalier fut là en un temps record. D'abord le vélo à extraire, puis moi. Ouille, ouille, le déchirement des ronces sur le dos, les cuisses, les mollets et les bras. Mais tellement heureuse de m'en sortir à si bon compte. Mon Stumpjumper sans une égratignure - évidemment il m'a prise pour matelas. Le bas du dos est bien endolori mais j'ai connu pire. Merci mon André d'amour.
Nous repartons, mon pilotage est hésitant, et André ne cesse de se retourner pour s'assurer que je suis toujours là, il est inquiet. Un peu plus loin une source, je me nettoie, je bois.
C'est reparti. Sur un circuit VTT balisé rouge. Ben voyons, c'est pas comme si nous étions pressés d'arriver à Lourdes, après tout nous avons tout notre temps. Montée technique sur un single, joli, ravissant, le fun revient, je suis bien, ravie et reconnaissante d'avoir échappé au pire. Bientôt nous sommes au sommet, dans les fougères, le Lavedan est un lieu magnifique, sauvage, et je me régale de cet horizon. Photo. Descente VTT technique, sorte de bike park, les gars du coin doivent bien s'amuser, et nous voici au bord du Gave de Pau. Je rêvais d'un bain dans les eaux du torrent pour dissiper les effets de ma chute, c'est fait.
Pendant que mon André lave ses vêtements, je ré-organise mes bagages de manière à laisser un sac de vêtements et autres babioles inutiles à Lourdes, soit aux bons soins de Mele, soit à la boutique de vélo à proximité de la fin de la trace - je reviendrai chercher mes affaires la semaine prochaine. Dans une heure, nous sommes à Lourdes, enfin. Au programme, terrasse, pression, salade, frites et viande grillée. Au moment de repartir, maladresse d'André, mon vélo est sur le flanc droit. Les vitesses ne passent plus. Nous repassons sur le mode inquiétude fatiguée, voire énervement. Un ou deux échanges de parole un peu vifs. Une réparation de fortune. En avant sur la piste le long du Gave de Pau. Nous roulons vite, pressés d'en avoir fini. Plus que deux ou trois kilomètres avant Lourdes.
Tiens un détour très ascendant par Buala, mais c'est bien sûr, la dernière surprise, allez qu'à cela ne tienne puisqu'il en est ainsi Madame la Marquise, enfin Monsieur le Marquis Samuel. Il est 15h00, nous n'avons parcouru que 35 km depuis notre arrêt restauration de fin de matinée au pont Napoléon. Je n'ai plus rien à boire, plus rien à manger hormis quatre morceaux de sucre, mais les villages sont beaux et la nature plus encore.
J'ignorais alors que nous avions encore deux heures de tours et détours dans ce Lavedan si avenant et vallonné, sur les traces d'un autre circuit VTT, charmant certes mais qui nous a quelque peu agacés, je dois bien le dire. Pareil pour Anna et Graham d'ailleurs, car lorsqu'ils nous ont dépassés, ils étaient dans le même état d'esprit - "j'en ai assez, c'est quand qu'on arrive à Lourdes, je veux manger et boire, boire jusqu'à plus soif". Enfin nous y étions presque, seule une belle descente nous séparait de la Terre Promise. Une succession de marches en pierre plus hautes les unes que les autres, du genre de celles que tu apprécies quant tu as un tout-suspendu, et pas un semi-rigide chargé de bagages, avec une fourche au débattement de 80 cm. Alors que tu crèves la dalle depuis des heures. Touche dadaïste total grunge et apothéose comique : un champ de merdes humaines, et leurs monticules de PQ dépenaillé et déchiqueté. Nous étions dans les latrines à ciel ouvert des pélerins-campeurs. Bienvenue à Lourdes.
Quelques tours de roues plus loin, le centre ville, et la fin de notre trace. J'avise la boutique du vélociste repérée lors de la préparation de ma feuille de route. Bike & Py. Nous avons à peine le temps de ranger nos vélos que déjà un homme charmant sort de la boutique, nous demande si nous avons besoin d'un contrôle mécanique, d'un changement de pièces, nous enjoint de mettre nos vélos à l'abri, nous invite à venir boire une bière au bar, et se charge d'emmener nos vélos à l'atelier une fois nos problèmes expliqués . Le miracle, le mirage, tu te demandes si tu n'hallucines pas, tu es happée par cette bienvenue chaleureuse, par cette déferlante d'attentions et de gentillesse, tu n'en crois pas tes yeux, tes oreilles, ni même ton corps qui déjà se relâche, tu pourrais t'effondrer là en pleurant à chaudes larmes tellement tu es au-delà de l'épuisement, mais non tu ne peux que sourire et remercier, encore et encore, et puis le rire revient, fort, innarrêtable. Voici Anna et Graham accoudés au bar. Le nirvana dans l'antre bienheureuse de Bike & Py. Nul besoin de pousser jusqu'à la Grotte de Lourdes, le miracle a lieu ici. Pas d'eau de la grotte vendue à prix d'or, juste une pression miraculeuse offerte avec le sourire. Et un énorme sandwich concocté par le maître des lieux, parti chercher pain et jambon et fromage pour nous, rien que pour nous.
Je me souviendrai ma vie entière de cette béatitude radieuse qui m'a envahie là, sur mon tabouret. Ce fut l'un des plus beaux cadeaux reçus sur notre French Divide, cet accueil absolument hors du commun par toute l'équipe de Bike & Py, restée à son poste 24h/24h au service des French Dividers, juste parce qu'ils le voulaient bien et qu'ils pensaient que nous le valions bien.
Nos vélos, ainsi que ceux d'Anna et Graham, furent examinés et réparés en une heure. Il était plus que temps de nous arracher à cet endroit délicieux, de faire les emplettes pour la soirée, la nuit et le lendemain matin. Mon vélo, allégé des 3 ou 4 kg laissés en consigne à Aurélien, molette de dérailleur réglée, vitesses bien indexées, est prêt à en découdre. Suffocation dans les rues de Lourdes, chaleur étouffante, embouteillages et fumées de gaz d'échappement, fourmillement humain et commerçant, vite s'enfuir de là. Malheureusement, la trace nous promène de la Grotte aux sanctuaires, puis dans les rues des marchands du Temple.
Enfin, la direction de Saint Pé, Graham et Anna dans nos roues, pour émerger plus vite de cet infierno citadin. Rapidement, nous sommes sur un chemin très roulant en bordure du Gave, à bonne allure. Notre quatuor a les jambes allègres, notre taux de sucre sanguin doit être au maximum. Graham et Anna ont l'intention de rallier Mendionde en une seule étape, sans arrêt nocturne, car la soeur d'Anna l'attend là-bas. Nous leur disons donc au revoir et les laissons filer.
Nous continuons une heure sur ces chemins faciles, guillerets, longeons les bâtiments étonnants de Bétharram, et lorsque j'avise deux restaurants à Lestelle-Bétharram, décision de prendre un bon repas dans le moins cher des deux, ô Quatre Saisons. Terrasse arborée en bord de Gave, accueil sympatique et professionnel, une pression bue d'un trait, un excellent menu avec une soupe pyrénéenne, la garbure, une salade et melon, un plat de viande et légumes, un dessert, un café et l'addition, s'il vous plait. Le tour est joué en une heure et des poussières, appareils et lumières rechargés à plein, ablutions faites pour la nuit après la chaleur de la journée, paquetage ré-organisé. Nous commençons à battre des records d'efficacité lors de nos arrêts.
Il est 20h30 lorsque nous retrouvons le sentier en bord du Gave de Pau avant de bifurquer en direction d'Asson puis de Bruges, le village de Pierre, où une fête villageoise essaime bruits et voix joyeuses dans l'air.
Les jambes sont aux petits oignons, l'obscurité est là, la tête est légère, le ventre est satisfait. Nous pédalons encore une petite heure, et l'envie de dormir me venant, nous commençons à fouiller la campagne de nos lumières et regards, à la recherche d'une tanière pour la nuit. Plus loin, un abri bus, à proximité de rares habitations.
Trente minutes plus tard, j'ai tout oublié des maléfices de cette journée. Je m'endors sourire aux lèvres. Nous serons à Mendionde avant samedi midi. Nous avons parcouru 2050 kilomètres et avons grimpé 32 000 mètres depuis Bray-Dunes en 13 jours. Comment ne pas être fière de moi, de nous ? Demain sera une journée glorieuse dans le pays basque.
Images de cette treizième journée, entre Hautes Pyrénées et Pyrénées Atlantiques. Photos Pat.
Jour 14 - Vendredi 18 août : du Béarn au Pays Basque, dans les Pyrénées Atlantiques
De Sainte Colome à Saint-Étienne-de-Baïgorry, d'un abri bus à l'autre : 145 km, 2420 m dénivelé +. 12h00 de pédalage. De 5h30 à 24h00. Terrain : un mélange très harmonieux de toutes petites routes au bon revêtement, de chemins agricoles ou forestiers, de sentiers voire de monotraces dans les bois, et bien sûr notre chemin de St Jacques retrouvé. Des collines, du plat, et du vallonné à la mode basque, c'est-à-dire uniquement pour les amoureux de raidards. Météo : nuageux le matin, pluvieux à partir de midi, douceur des températures.
Au réveil : peut-être notre dernier lever de bivouac ?
Inventaire des temps forts de cette quatorzième journée :
- un très beau chemin en crête, à la lumière douce du matin après un monotrace et un sentier en forêt.
- notre petit déjeuner dans un bar à Ogeu : un patron joyeux et accueillant, à la veille de son départ en vacances, un bout de brioche de ses provisions personnelles, un café, un jus de fruit
- les champs aux plants de maïs absolument surdimensionnés jusqu'à Oloron-Ste-Marie puis Navarrenx, et le beau chemin parallèle au Gave d'Oloron puis à celui d'Aspe
- notre seconde pause petit-déjeuner en mi-matinée à Oloron, où flottait un léger parfum de chocolat. Suite du plein calorique, un brin de toilette, recharge des appareils.
- le banc de la place à Navarrenx après la boulangerie, la charcuterie. Retour de la pluie, repas expédié.
- notre remise en route pour les collines, portes d'entrée dans les terres à l'identité basque profonde lisible dans les noms de villages : Olhaibï, Sorhapuru, Larribar
- le chargement sur nos gps de la trace de l'ultime section de la French Divide à Larribar-Sorhapuru et cette réalité qui s'impose : le voyage touche à sa fin. Plus que 72 km.
- le chemin de St Jacques de Compostelle à l'assaut de la chapelle de Sayarza
- le plaisir survolté pris sur le single après la chapelle de Sayarza, souvenir d'ivresse
- la pause goûter à l'auberge du magnifique village basque d'Ostabat-Asme
- la pluie redoublant d'intensité entre Ostabat et Saint-Jean-le-Vieux, tueuse du plaisir pris jusqu'alors
- la facilité incroyable ressentie à grimper les coups de cul, à partir de Saint-Jean-le-Vieux
- la descente pavée de la rue principale du centre historique de Saint-Jean-Pied-de-Port
- l'arrivée sur la place de Lasse, où les enfants dansaient sur le terrain de pelote basque et notre dîner de truitelles à l'auberge Etchoinia, après une longue attente dans cette ambiance festive mais criarde, entre reportages télé sur les attentats perpétrés en Espagne et musique basque tonitruante
- nos heures du soir sur le vélo, hasardeuses, car ma lumière avait choisi de mourir, inexplicablement. Mais après enquête, très explicablement.
- la rencontre d'un couple de parisiens éberlués et quelque peu dépassés par notre entreprise, à la porte desquels j'avais toqué, à la recherche d'une prise où mettre ma batterie de lampe à charger, dans le village de Eyheralde, aux alentours de 22 heures
- notre décision de trouver un bivouac, le temps d'autonomie de ma lampe n'excédant pas une heure après l'épisode recharge
- l'abri bus magiquement apparu au détour d'un virage, et qui nous était visiblement destiné
- le bonheur intense ressenti à me glisser dans mon sac de couchage, à côté de mon André, pour cette dernière nuit de bivouac sur la French Divide
Lors de cette quatorzième journée, l'essentiel de mes heures fut occupé à approcher le mystère de ce voyage si proche de son terme. Des vagues d'émotions contraires me submergèrent tour à tour. Emerveillement incrédule, impatience à retrouver notre petit monde de Dividers à Mendionde, tristesse d'entrevoir la fin de notre itinérance, excitation rieuse ou éplorée d'avoir réussi ce défi improbable, angoisse d'échouer à quelques kilomètres du but, fierté démesurée, désir d'en finir au plus vite, et désir de ne jamais en finir.
En fin de soirée, la joie dominait. Le lendemain matin, il nous restait une trentaine de kilomètres à savourer, minute après minute.
Images de cette quatorzième journée, entre Béarn et Pays Basque. Photos Pat.
Jour 15 - Samedi 19 août : Epilogue au Pays Basque
De Saint-Étienne-de-Baïgorry à Mendionde : 27 km, 790 m dénivelé +. 2h15 de pédalage. De 7h00 à 10h00. Terrain : des petites routes, sur un asphalte parfait.
Grasse matinée en ce dernier jour. Lever de camp tranquille et serein. Notre abri bus est une fenêtre sur le monde. Une première montée sans hâte. Une pause à l'épicerie de Bidarray. Le paysage est sublime. Une seconde côte, rythmée. Un troupeau de brebis en descente. Une grimpée finale, douloureuse aux mollets, superbe au regard. Plongée sur Louhossoa.
Le dénouement approche. Méditation. Au bout du compte, seule subsiste la nécessité de renouer au plus vite avec l'itinérance extrême. Pourtant, 'plus jamais ça' m'était souvent monté aux lèvres, durant les quatorze jours qui venaient de s'écouler. Pourquoi autant d'inconstance ?
Au terme de cette traversée des paysages, des régions, des architectures, des existences, des visages, tous si différents, mais tous si semblables, je suis devenue une passante sans souci. Et peut-être sans identité particulière. Je me suis affranchie.
Mendionde. Le panneau. Selfie avec mon André. Nous nous embrassons. Impossible de dire. Le centre du village. Bernard et Gérard, nos amis du CLMarsannay venus nous accueillir et nous féliciter. Chaud au coeur. Tellement. Le restaurant Etchebarne, terminus, tout le monde descend. Accolades chaleureuses. Philippe. Steve. Rémi. Daniele. Céline. Samuel. Sophie. Lionel. Et d'autres. Tourbillon de félicitations. Vertige. Apaisement.
Petit déjeuner et douche. Mes trophées - le maillot de Finisher, ma carte de route tamponnée et annotée. Et déjà les discours. Emouvants. Des visages marqués, bouleversés, mais tous irradient la félicité. Puis le repas pris tous ensemble. Anna. Graham. Gabriel. Philippe. Laurent. Luc. Sylvain. Tant de choses à raconter. Voilà, il est l'heure de partir pour Bayonne, avec Gérard et Bernard.
Epilogue à ma French Divide :
Dans mes souvenirs, tout se ressemble, tout s'assemble. L'Avesnois et le Pays Basque tendent à se rejoindre, les pavés de St Jean Pied de Port se font l'écho de ceux de Paris Roubaix, les petites routes abruptes du Béarn font ressurgir celles de Bourgogne, les champs de maïs basques sont contigus à ceux de la Marne et de la Champagne dans ma géographie mentale.
Partout se dressent des clochers d'église, des croix, des calvaires, des pierres tombales. Partout se pressent des orties, des ronces, des racines, des ponts ou passerelles, des ruisseaux ou rivières, des barrières qui ferment les champs ou pâtures, des fermes isolées, des bourgs en plein vent ou blottis au fond d'un vallon. Partout paissent moutons et vaches, curieuses ou indifférentes à notre passage : les blanc bleu, les prim'holstein, les montbéliardes, les charolaises, les salers, les aubrac, les limousines ou les gasconnes. Partout chiens, chouettes, chats, crapauds. Partout le vol des oiseaux, et leurs cris ou leurs chants. Partout le murmure des eaux. Partout ces arbres si vivants, et cette terre si odorante. Partout, ces ciels immenses, leurs nuages aux textures et aux formes fantastiques, leurs couleurs d'azur, de blanc gris moutonneux ou strié ou étalé, de noir opaque ou étoilé. Espace infini d'une beauté ineffable. Si souvent fouillé de mon regard, pour toujours en revenir avec une force, une conviction et une douceur rarement ressenties auparavant.
De la terre au ciel et du ciel à la terre. Ce fut l'histoire de ma traversée de ce territoire appelé France. Sur le chemin de la French Divide. Au-delà des identités. Au-delà des différences. Au-delà de moi-même. Au-delà.
Jour 15 : dernières heures au Pays Basque. Photos Pat.
A Mendionde. Crédits photos : Clément Milo.
Ma carte de route