Article écrit quelques jours après la RATA mais révisé/édité hier au soir seulement (aux sons du Boss en direct du festival des Vieilles Charrues ! ).
Les références temporelles demandent donc à être réactualisées par le lecteur ! De retour de Nauders, donc. Quelques impressions, souvenirs déjà, à chaud encore ! De manière très élliptique, car peu de moments libres, les vacances sont déjà là pour André et donc voici venu le temps de la migration vers les sommets alpins !
Nauders, village autrichien du sud Tyrol. Sommes arrivés sous un ciel d'azur et dans la lumière éclatante d'un soleil estival, mercredi après midi après avoir reconnu le Fluëla en voiture.
Les photos vous laisseront deviner le charme de ce village.
Hélas, les prévisions météo aperçues le matin ont largement terni les promesses de plaisir ! Pluie, pluie et pluie au programme des deux jours de la RATA ! Déception, désillusion. Quelques heures sont nécessaires pour que je retrouve de la couleur. En effet, je sais de manière certaine que je ne pourrai aller au bout de la RATA en cas de pluie abondante - un orage par-ci par là, de bonnes averses, ok pas de problème avec mon véhicule d'assistance. Mais la pluie régulière, couplée à l'altitude des cols à escalader et au froid annoncé pour la nuit, aucune chance que mon organisme réussisse à encaisser toutes ces sources de stress....en plus des efforts extravagants nécessaires pour rester dans les temps !
Mais le pire n'est jamais sûr ! Je prendrai le départ et ai bien l'intention de m'en mettre plein les mirettes et plein les jambes et plein la boîte à souvenirs !
Installation dans un charmant appartement à Haus Julia, après avoir été chaleureusement accueillis par Mme KLAPEER (notre hotesse ne parle pas un mot d'anglais ou de français, mais maîtrise l'italien à merveille - ce qui est providentiel puisque Jean Yves se débrouille un peu dans cette langue !).
Puis André, Marie No et Jean Yves s'acquittent de la corvée des courses. Je vais tourner un peu les jambes, histoire de 'faire circuler les fluides' après les dix heures dans le Boxer.
Rends visite à Pascal LACARIN et son équipe au camping du Reschen Pass. Pascal a effectué la montée du Stelvio ce matin, bonnes impressions et donc bon moral. Il a hâte d'être au lendemain, mais est remarquablement détendu et serein.
Jeudi.
Chacun s'affaire. Bien des choses à préparer pour le lendemain et bien du boulot pour les valeureux membres de mon assistance ! Fin de matinée, courte sortie pour essai passage de bidons, routine des arrêts.
Au retour, re-visite à Pascal et son équipe (Georges, Gérard et Jeff, the big boss de l'assistance).
16h00 : remise du roadbook et numéro et briefing d'avant course. Nous nous retrouvons entre français....Pascal, Jean Paul, Igor et leurs équipes. Chacun monte sur le podium à son tour pour une courte présentation. Ci-dessous, Igor CASIMIR et moi-même.
Bien des questions en suspens.....nous comprenons qu'il y a 39 sms à envoyer à différents points stratégiques. Les assistances sont inquiètes- comment être sûr de ne pas en oublier ? Après un questionnement insistant, ok pas de problème en cas d'oubli, c'est juste pour le suivi internet. Les coureurs sont appelés sur scène pour quelques questions sur leurs objectifs. Mais l'anglais n'étant guère utilisé, difficile de savoir de qui il s'agit et ce qui est dit. Shanna Armstrong est là, pleine de vivacité et d'énergie . Très décontractée, elle n'a pris connaissance du dénivelé au programme que le matin même ! Il faut dire qu'après avoir réussi à boucler la RAAM en 11 jours et 22 heures en 2006, les 533 km de la RATA ne doivent pas trop l'inquiéter. Nous quittons la réunion, plutôt déçus par l'accueil et le manque d'informations. Impressions qui se verront confirmées par la suite. Ambiance bizarre, aucune directive donnée pour le départ, la mise en place des véhicules d'assistance, etc....bref chacun fait ce qu'il lui plaît, semble-t-il. Quant au suivi sur le parcours, il n'y en a pas.
La RATA c'est avant tout une course ultra pour montagnards hyper costauds et imperméables à tout (style autrichien, quoi !), faut pas se leurrer - un peu le sentiment de m'être trompée de crèmerie ! Bah les dés sont jetés, je verrai bien !
Reste que le parcours de la RATA est somptueux, grandiose, d'une difficulté énorme de par son dénivelé mais aussi de par les altitudes qu'il nous fait tutoyer. Difficile de trouver parcours qui vous fasse davantage rêver, qui vous prenne autant aux tripes et aux mollets à tout jamais ! Je comprends que
Hugues soit devenu ce Rataman si convaincu ! Et que
Giancarla revienne année après année se mesurer à cet itinéraire de folie dans l'espoir toujours renouvelé qu'un jour elle réussira à le boucler dans les temps.
Oui, il est clair que jusqu'à aujourd'hui, je n'avais rien vu de plus beau ! De plus exaltant ! N'avais pas idée de ce à quoi le passage de l'autre côté du miroir pouvait ressembler.
La RATA, c'est la version cycliste du Sublime de Ruskin : une fois entrevu, impossible de l'oublier, impossible de se contenter du moins que sublime, notre âme ne peut qu'aspirer à effleurer, contempler ce spectacle, se nourrir de ces moments incroyables. Et revivre ces heures de fièvre, d'excitation, d'éveil au plus que beau, au plus que difficile, au plus que tout quoi !
Bien sûr, il est possible d'emprunter le même itinéraire et de le faire sur deux ou trois jours, version grand randonneur. Mais je doute fort que la force des sensations soit la même. Car l'effort ne sera pas le même, il ne sera jamais aussi total.
J'en viens au
Jour J. Départ à 12h00, au centre de Nauders. Les coureurs commencent à affluer à 11h30.
Shanna,
Mélanie et moi sommes toutes trois vêtues de rose !! Le mot de Shanna : "We're the Girls' Power!".
Et bien sûr, la Force d'Auvergne (bon ok, Jean Paul est vosgien, je suis beaujolaise...et tous deux ne sommes que des adoptés d'Auvergne) est présente :
Beaucoup de monde et de photographes ; la voix du speaker autrichien tonitruante, les voix des coureurs interviewés ; les regards des autres coureurs, spectateurs et membres des équipes d'assistance - le sentiment que ma prétention à m'aligner parmi tous ces hyper-costauds est délirante. Ma conviction intérieure du moment : je suis une usurpatrice ! Tension. Heureusement, André est là. Et je retrouve Pascal, entièrement tendu vers la minute du départ, très concentré, attentif aux autres concurrents. Jean Paul et Igor sont sur la ligne de départ également. Hésitations quant aux vêtements à endosser. La pluie menace mais ne tombe pas encore. Lindner, Vandeli, Fisher arrivent dans les derniers et prennent place devant. Impressionnants de force musculaire ou d'affûtage !
Mais nom de nom, qu'est-ce qui m'a pris de songer qu'il m'était possible de me joindre à ce peloton d'ultras ? Ah vite, il me faut me souvenir d'une des citations préférées de Martial qu i a à voir avec la folie ordinaire et le sens de la vie.......oh Gosh, can't remember it!
Mon cerveau n'est plus que bouillie. Vite, que nous partions, que je puisse enfin pédaler et donner du grain à moudre à mon coeur qui s'emballe !
Allez c'est parti. Je tiens les roues jusqu'au haut de la première côte puis laisse filer. Shanna me dépasse en haut du Reschen et restera à quelques encablûres devant. Bienfait de cette première heure où la tension se libère enfin dans l'effort. Je reste attentive, beaucoup de circulation dans cette portion d'une trentaine de kilomètres avant de rejoindre
Spondinig, et le début de l'ascension du Stelvio. Je sens le Boxer derrière. La pluie nous rattrape dans la descente du Reschen lorsque Mélanie arrive à ma hauteur. Nous roulerons plus ou moins ensemble jusqu'à la prochaîne grosse averse, après Spondinig. Ensuite, au gré des arrêts, enfilage de vêtements ou déshabillage, nous nous retrouverons ou nous éloignerons l'une de l'autre. Elle emmène un gros braquet, comme Shanna qui a les écouteurs dans les oreilles et se trompe de parcours avant Spondinig, et avance rapidement sur les portions de faux plat montant. Dans les ascensions, Mélanie et moi sommes sensiblement de même valeur ; dans les descentes, je suis plus rapide qu'elle. Je me dis donc que rester à proximité de Mélanie constituera une bonne motivation. En fait, je crois que Shanna ne sera jamais trop loin devant nous. Quant à Giancarla, elle monte bien et comme elle ne s'arrête jamais, je la verrai passer à chaque sommet de col lalors que je suis arrêtée.
[J'anticipe sur la suite du récit : nous abandonnerons toutes les quatre, Giancarla ne rendant les armes que le lendemain dans la matinée. Le froid, l'humidité, la difficulté auront eu raison des représentantes du Girls' Power - comme l'a dit Shanna lorsque nous l'avons dépassée après mon abandon : "It's no fun!" ! Nous étions toutes les quatre en course contre la montre, le délai imparti de 32h00 se révélant trop court et impitoyable pour nos organismes visiblement moins aguerris que ceux de nos homologues masculins ! Mais fin de la parenthèse proleptique ! Et retour sur le premier col du parcours.....]
S'ensuivent
la montée du Stelvio et ses 43 virages. Chaleur lourde et orageuse, malgré l'averse, contre la paroi de rochers qui s'étire jusqu'à Trafoï, où le virage à droite signale les premières vraies pentes du Stelvio. Vrombissement des motos qui descendent, montent ; virages en épingle, pente qui se raidit. L'entrée en matière est somptueuse. Et le ciel est dégagé, du bleu enfin ! Puis la vue sur le glacier Ortler. A partir de là, oubli de tout, ne reste que le rythme de la pédalée et du souffle. Chaque virage est soit promesse de bout droit avec un fort vent de face soit promesse de récupération paradoxale ; je réussis de loin en loin à avaler une gorgée d'eau ou de 640. Le Boxer file régulièrement m'attendre quelques virages au-dessus - André assume avec brio son rôle de supporter inconditionnel à chaque virage ( attention, pas de poussette !), Marie No joue à la photographe professionnelle, Jean Yves se repait du paysage.
Bientôt le sommet, à 2800 m. L'ascension m'a parue si courte, j'ai déjà le regret de devoir quitter ces pentes et paysages magiques. JY récupère mon vélo, André m'assoit pour me masser et changer mes vêtements (trempés), Marie No s'affaire à mon ravitaillement - top mon équipe d'assistance ! Une fois assise, je suffoque, respiration impossible, quelques nano-secondes de panique, bruits impressionnants pour remettre la machine respiratoire en route, André me tient contre lui, m'embrasse, me protège, me rassure, me murmure ce que je sais déjà : ne t'inquiète pas, c'est l'altitude....pensée qui me traverse : la prochaîne fois, je m'acclimaterai à l'altitude auparavant. Suis née dans la plaine, vraiment pas une montagnarde, ai besoin de 'paliers de décompression' aux alentours des 1900 m puis des 2300 m. Retour à la normale.
Je repars une fois chaudement vêtue, au plus vite. D'autant que je viens de voir Giancarla passer, sans prendre le temps d'un arrêt, dédaignant d'enfiler ne serait-ce qu'un coupe-vent. Je retrouve les premiers lacets (encore humides) de la descente sur Bormio avec délice et entrain. A droite, l'embranchement vers l'Umbrail. Ah peut-être que demain......Plus bas, les prairies des marmottes. Ici le café terrasse que j'affectionne. Là les tunnels dont le revêtement est traitre. Ah voici Giancarla et sa voiture, au passage elle me crie "Go, go, Patricia. I'm scared." Dernière portion des 24 km de descente et entrée dans
Bormio : chaleur moite. Oh vite regagner les hauteurs, ne pas stagner dans les vallées et les villes aux populations animées et nombreuses. Direction Valfurva et Santa Catarina. La première partie du
Gavia se fait sans encombre, les jambes répondent bien, le massage d'André a effacé toute la fatigue du Stelvio, semble-t-il. Une pluie battante est là à nouveau. L'orage tourne autour de Bormio, cela promet. Arrêt pour me déshabiller à la sortie de Bormio : le Boxer recule, menace d'écraser mon vélo et moi avec si je ne réussis pas à me désengager, cris de Jean Yves et Marie No, au volant André saura éviter le pire. Bizarre, impression d'une histoire sans paroles.
Plus haut, j'enfile un coupe-vent. Je suis trempée. Après Santa Catarina, et sa rampe de déviation, les premiers lacets du Gavia au milieu des sapins, et bientôt les pentes les plus assassines du col.
Le froid est de retour, en fait je grelotte lorsque le vent est de face, attaque sournoise d'une crampe au vaste interne gauche (trop d'huile de massage ? réaction au froid ?), peu importe il me faut me mettre en danseuse pour venir à bout de cette partie si difficile. Juste la nécessité d'avancer, coûte que coûte. Dernier tiers du col, paysage de très haute montagne, neige soufflée par le vent, lacs gelés, rochers désolés d'être si blanc, et la pluie qui tombe sans discontinuer. Dominante gris anthracite. Plus une moto, à peine une voiture de loin en loin, deux cyclotouristes en sens inverse - Dieu merci, je ne suis pas seule ! Au sommet, le Boxer et la voiture de Mélanie. Je suis happée et montée à l'intérieur du mini-bus. Changée de pied en cap. Marie No m'a préparé une tisane chaude. Trop bon. Je ne veux rien manger, pas le temps, pas envie, les efforts consentis pour venir à bout du Gavia m'ont entamée, lessivée. Mais je suis heureuse d'être venue à bout de ce col que je crains. Dans ma tête : reste le Mortirolo, et après ce sera gagné [quelle présomption !!] !
Vite, je m'élance dans la descente. André a juste le temps de me dire que le revêtement est superbe. Ah bon ?! Route très étroite, chaussée défoncée et détrempée, gravillons et trous dans les virages, brouillard, pluie qui tombe toujours - le style de descente qui m'aurait rendue folle de peur il y a deux ans de cela. Là, je m'éclate, j'adore. Quelle ambiance ! Ce n'est plus Ruskin qui me vient en tête.....c'est le monstre conçu par le Frankenstein de Mary Shelley, oui, c'est bien cela ! Je comprends en un éclair comment cette belle jeune femme si sensible et cultivée a pu concevoir une créature littéraire pareille - elle a dû effectuer une randonnée au sommet du Gavia par temps de pluie !!
Tout de même, un soupçon me vient : et si je m'étais trompée de route, André m'a bien parlé d'un superbe revêtement, non ?
Oops, entrée dans un long tunnel complètement noir ! Freinage d'urgence, pieds à terre, complètement aveugle et déséquilibrée.....voici le Boxer, ben il tombe à pic celui-là !! Allez c'est reparti. Virages serrés, absence complète de visibilité, pluie, brouillard, grisaille, pierres sur la chaussée, ça continue.
Des voitures qui montent, route si étroite......aargh, les roues du Colnago sur le bas-côté pour éviter la première voiture, oops la roue arrière qui décolle, je rattrape avec le pied, pas le temps de m'apesantir, vite je file....le Boxer lui est bloqué, André ou Jean Yves devra reculer de plusieurs centaines de mètres. Plus bas, Giancarla, comme à l'arrêt dans une épingle. "Go, go!" "Super, Giancarla ! Bravo !". A nouveau je suis trempée, mains et bras sont tétanisés à force de froid, d'humidité, de secousses, de cahots, de freinages.... inquiétude vite balayée : "Ca promet pour les futures descentes !".
Mais déjà il fait chaud, lourd, la route remonte, je souffle comme asphyxiée sous mon imperméable. Mélanie et sa voiture sont là sur le bord de la route, c'est bien, je n'ai pas perdu trop de temps.....moi qui pense toujours que je suis à la ramasse complète !
Le Boxer me rejoint, puis Mélanie, le faux plat descendant n'en finit plus. L'agglomération de Ponte di Legno. Nous rentrons dans une vallée encaissée, aux pentes d'un lourd velours vert sombre, le ciel est plus que menaçant, nuages d'orage, la pluie fine qui tombe encore a toutes les chances de s'empirer, respiration oppressée, ah une fois encore, vivement les sommets !
Non, je ne veux pas m'arrêter, tant pis pour les pieds détrempés dans les sur-chaussures, le corps surchauffé sous l'imperméable non respirant. Mélanie non plus n'a ôté ni son pantalon de pluie ni son imperméable jaune. Elle me suit, à quelques mètres pour ne pas profiter de l'abri.
Edolo. Centre ville dont les cafés terrasse invitent à l'arrêt. Je le dis à Jean Yves - aimerais manger quelque chose avant l'Aprica ; d'ailleurs, en y réfléchissant bien, cela fait bien longtemps que je n'ai rien mangé....en fait depuis le sommet du Stelvio, donc environ 4 heures ! Et il est déjà 7 heures du soir, je crois.
Arrêt donc à la sortie d'Edolo. Rien de romantique - de splendides containers dégorgent leurs détritus sur la chaussée. La route nous frise les moustaches. J'enlève une ou deux couches, mais pas mes chaussures et sur-chaussures, grossière erreur. André s'occupe de mon vélo, lumières, vérification des patins, etc. Jean Yves me prépare une assiette de pâtes, Marie No me verse un coca, une Supradyne Guarana....ben faut en avaler de ces trucs pour pédaler ! Aimerais tellement ne pas avoir à manger, juste une gorgée de loin en loin. Bon les pâtes sont bonnes tout de même. Je m'étire.
Mélanie, qui s'était également arrêtée, est déjà repartie depuis belle lurette. Son mari est seul à la suivre - la nuit risque d'être difficile pour lui.
C'est reparti. Je repasse ma leçon : Aprica, Tresinda puis Tirano. Puis à Lovero, laisser la voie express et prendre à droite direction Mazzo/Sparso, traverser le village de Tovo puis......le Mortirolo !
Mais d'abord la montée sur Aprica, presque 16 km. Route large, bon revêtement, touffeur de l'air, la nuit est là, les voitures sont encore nombreuses. Puis l'éclair d'un ultra qui me dépasse, si mince, si aérien dans sa pédalée et en même temps si puissant, je le reconnais, nous nous sommes souri ce matin sur la ligne de départ, il me lance un encouragement joyeux.......puis sa voiture d'assistance, une simple deux portes, là aussi voix joyeuses et encourageantes - des suisses de Zurich. Quelques minutes plus tard, suit Fisher tout de blanc vêtu, ne donnant pas cette même impression de grâce virevoltante, doit être au taquet car n'a même pas le temps de me saluer....strange, isn't it?!
[Seconce parenthèse proleptique : Le suisse virevoltant s'avèrera être
Thomas STREBEL, qui se classe 4° de cette RATA 2009. Je le retrouverai à son arrivée, et aurai plaisir à lui parler. Il se rappelle très bien m'avoir dépassée...."yes, that was before Aprica!" La première fois qu'il participe à la RATA. L'année prochaîne, a pour objectif la RAAM.
Il est d'une simplicité confondante. Il est là, à côté de sa voiture, sur le parking du supermarché, à faire un brin rapide de toilette, à se changer, comme si de rien n'était. Alors qu'il vient de boucler la RATA en 24 heures, qu'il a essuyé un violent orage dans la Bernina en nocturne, qu'il a affronté la tempête de neige en haut de l'Umbrail et du Stelvio, le froid nocturne en haut de chaque sommet. Voilà un ultra selon mon coeur ! Sûr que je suivrai sa progression sur la RAAM 2010 !]
Mais j'en reviens à mon périple ! Me voici donc dans
la montée d'Aprica. Chaud, froid. Soif mais pas vraiment le courage de prendre mon bidon, j'espère du plat, mais non. Cependant la pente n'a rien de difficile, facile d'enrouler. Ah déjà Aprica ! Et l'arche. Inutile de m'arrêter, la descente est là. Nuit noire, chaussée toujours mouillée, circulation automobile, les feux des voitures venant en sens inverse gênent ma vision mais les feux du Boxer me permettent de descendre en toute sécurité et rapidement. Longue descente puis très longues lignes droites fortement ventées pour rejoindre Tirano. Pas une partie très agréable, d'autant que les italiens sont de sortie en ce début de weekend. Tous en route pour Tirano !
Encore un arrêt. Puis l'embranchement pour Tovo et Sparso. Ouf, tranquillité retrouvée. Il pleut toujours, mais je suis ok.
Le Mortirolo commence à occuper toutes mes pensées. Hâte d'en avoir fini avec lui. Pour me libérer de cette angoisse.
Entrée de Mazzo - je connais ma leçon sur le bout des doigts : tourner à droite avant le panneau de Mazzo, en face d'un garage pour engins agricoles, après une haie d'arbres à droite. Et ben, malgré cela, ne voyant aucune indication de tourner à droite venir du Boxer, je poursuis.
[Erreur de parcours donc, signe d'un manque de lucidité déjà présent . La lecture à postériori de ce type de 'signe' est bien sûr des plus faciles, mais dans le présent de l'évènement il n'en fut pas de même !].
Prendrons à droite plus loin, puis à gauche, pour nous retrouver dans un hameau aux ruelles étroites. Jean Yves ne peut tourner, maneuvres à n'en plus finir. J'attaque une pente des plus raides dans le village, mais me ravise, fais demi-tour, aucun panneau n'indiquant le Mortirolo. Je rejoins André et Marie No qui sont à pied dans le village, le Boxer toujours bloqué. Interrogations. Tournons en rond un bon quart d'heure. Mais finirons par trouver une petite route forestière aux pourcentages incroyables que j'ose à peine regarder (surtout ne pas penser, oublier que l'ascension est longue de 12 km, ne pas m'inquiéter de ces douleurs musculaires insoutenables dans les mollets et les cuisses, oh my God!) - et ce revêtement de gros grain et ces trous, mais c'est impossible, c'est un cauchemar, je zigzague d'un côté à l'autre de la route étroite et malgré cela, malgré mon développement 28x29, j'explose de douleur et je suffoque. Cela dépasse les pires scénarios de mes projections mentales ! Pied à terre, je marche aussi vite que possible avec ces chaussures ridicules, j'aurais dû amener mes trainers. André est à mes côtés. Sensation étrange, j'ai le sentiment d'être coupée de moi-même, de l'endroit et du temps présent ; je ne peux que tenter de lutter contre le désespoir noir et affolant qui m'envahit, me submerge - seulement 2 km parcourus, il en reste 10 ! Mais où vais-je trouver la force dans ce corps qui est le mien, et qui est déjà épuisé ? André me parle, plaisante, il sent bien que je suis en train de rendre les armes, l'âme....me récite la dernière citation éssèméssique envoyée par Martial : " Quand le soir tombe, il y a des instants qui ne ressemblent à rien d'autre !"...rire intérieur....là il fait fort Martial, il a tapé dans le mille....bull's eye....oui à rien d'autre, l'obscur inconnu, l'inconnu obscur, mais là je n'apprécie pas du tout, un seul leitmotiv : "Que ça finisse, vite que ça finisse...". Je suis remontée sur le vélo, pour en descendre à nouveau plus loin. Puis ce furent des minutes lentes, reproduites comme à l'infini ; je ne pense plus, je ne m'insurge plus, chaque virage arraché à la pente comme une victoire, je suis en nage, je tremble, je crie, la forêt ténébreuse comme une gangue. Je suis enfermée dans ce corps paroxystique. Là-haut, quelle délivrance ce sera ! Confusément, je sens que le Boxer a des problèmes, que les pneus patinent dangereusement lors des redémarrages sur la chaussée détrempée. Plus de feux pour éclairer la pente devant moi, cette fois c'est Marie No qui court à côté de moi ! Décidément, je vais les épuiser avec mes bêtises ! Quelle patience ils mettent à supporter ma lenteur, mon inadéquation ! Marie No me répète à l'envie qu'elle ne veut pas me laisser seule....mais pourquoi insiste-t-elle tellement là-dessus ? Nous sommes à quelques mètres derrière Giancarla et sa voiture qui m'ont dépassée lors d'un des nombreux passages où j'ai mis pied à terre. Je m'accroche mentalement aux feux qui nous précèdent, Marie No me parle toujours malgré son essouflement (vous imaginez, le Mortirolo de nuit en courant ?!), elle est vraiment adorable. Comment la remercier ? Sans elle, je me coucherai dans le fossé. Froid, tellement froid. Et pourtant Marie No dit qu'il fait chaud ! Et ce vélo que je ne réussis plus à diriger, il semble aller où il veut, c'est lui qui m'emmène et non moi qui le mène. Tiens, voici le Boxer. Mais que faisaient-ils donc les boys ?!
Ensuite, je ne suis pas très sûre de ce qui s'est passé. Je sais que je suis rentrée dans le Boxer, transie. Impossible de m'arrêter de trembler. André a dû me couvrir de vêtements chauds et j'ai sombré dans le sommeil, avec l'idée que quelques minutes de repos me suffiraient pour retrouver l'énergie nécessaire à repartir. Confusément, j'ai eu conscience d'avoir très froid, des propos de Jean Yves et André parlant d'un orage, de bruits de tonnerre et de la pluie sur la tôle, froid encore, si froid, trempée jusque dans mes os, et tout le temps cette pensée lancinante : "Allez, juste une minute encore et ensuite tu repars..".
Bref, j'étais en hypothermie et n'étais plus du tout lucide ! Je n'ai même pas eu à prendre la décision d'abandonner, mon corps l'a prise pour moi. Transfert de responsabilité salutaire. Puis ce fut André qui, après 4 ou 5 heures d'arrêt dans le Mortirolo dans l'attente de la fin de l'orage, a dû officialiser mon abandon. J'avais toujours aussi froid, étais toujours aussi incapable de revenir à un niveau de conscience opératoire. Il eut été bon que je finisse au moins l'ascension du Mortirolo, quitte à abandonner au sommet. Mais impossible pour moi de trouver les ressources nécessaires, je ne voulais plus que rester pelotonnée au chaud.
Abandonner - je sais maintenant ce que cela signifie vraiment.
Abandonner la partie. Abandonner le jeu. Prendre congé de mes rêves, de mon désir de venir à bout de ce défi sportif, de mon envie de succès. Laisser aller les images de bonheur patiemment construites au fil des mois précédents et qui m'ont servi de motivation surpuissante - le lever du jour dans l'ascension de la
Bernina, les premiers lacets tout en raideur de
l'Albula, le sommet de la
Flüela suivi de sa descente technique que j'affectionne, et puis les pentes de
l'Umbraï avec sa seconde partie en terre que je me promettais comme une gourmandise à nulle autre pareille. Sans oublier les lacets en descente au flanc du Stelvio.
Accepter sereinement que tous les efforts consentis, d'ordre financier, logistique, mental ou sportif, ne mènent ni au bonheur régalien de franchir la ligne d'arrivée ni aux heures de béatitude absolue qui s'ensuivent.
Accepter qu'André, Marie No et JeanYves soient tristes pour moi et ne sachent pas trop comment me le dire. Accepter la responsabilité de les priver eux aussi du bonheur de franchir la ligne d'arrivée, du sentiment d'avoir mené leur mission à son terme, de n'avoir pas démérité.
En abandonnant, je les ai également abandonnés à leurs propres doutes.
Accepter l'idée que l'abandon est une des possibilités inhérentes à toute entreprise.
Reconnaître que tous mes efforts auront néanmoins servi à quelque chose, même si ce quelque chose est encore très indéfini...en tous les cas être pénétrée de la certitude que cela viendra grossir le balluchon de mon expérience.
M'incliner devant un pouvoir supérieur au mien, m'avouer vaincue, en toute modestie. Sans en faire une maladie ou une fixation. Sans que le mot 'échec' vienne enduire ces moments d'une coloration grisâtre.
Admettre que ma préparation sportive à la RATA ne fut pas celle qu'il aurait fallu (ce qu'André savait pertinemment ; ce dont je me doutais mais balayais d'un revers impatient), que je ne m'étais pas suffisamment exercée dans les cols de haute montagne, que je n'étais absolument pas acclimatée à la très haute altitude, que je n'aurais pas dû mobiliser autant d'énergie et de temps pour la diagonale Strasbourg-Perpignan, que je m'étais trompée de priorité, que je n'avais pas récupéré de la diagonale, du RPE (pourtant non terminé), objectifs seulement éloignés de trois semaines les uns des autres et donc trop proches.
[il n'y a pas que la récupération d'une épreuve à l'autre à gérer, il y a aussi toute la fatigue engendrée par l'organisation logistique, en sus des activités quotidiennes incontournables et de la prépa physique et mentale].
Enfin, accepter que d'autres se soient montrés plus forts, plus résistants, plus ....tellement plus...., ne pas me laisser aller, ne pas m'abandonner à l'envie d'être à leur place mais au contraire partager en toute sincérité leur bonheur d'avoir réussi.
A ce sujet, quelle émotion de voir arriver Pascal, formidable
performeur sur cette RATA puisque l'auteur d'un temps de 27h51mn pour sa première participation. Il venait d'une autre galaxie, il était passé dans une autre dimension ! Quelle intensité de bonheur, de volonté et d'être malgré son épuisement ! Tellement de fierté, et de simplicité. Et ce besoin de dire, de partager cette émotion, ces sentiments, ces souvenirs qui le submergeaient. Merci Pascal et bravo !
En conclusion, pour en revenir à mon propos initial, abandonner n'est pas s'abandonner !
Et notre retour sur Nauders fut joyeux et gourmand, nulle trace de tristesse dans notre équipe.
Pour finir, quelques mots sur l'organisation de la RATA à titre d'information (subjective...donc sujette à caution !). Et à l'intention de ceux ou celles qui songent à y participer.
L'inscription de 400 € donne droit à prendre part à la RATA et à bénéficier d'un roadbook dont la version anglaise ne nous a été donnée que quelques jours avant le départ. En cadeau de bienvenue : un seul TShirt. Pas de ravitaillement, pas de point de contrôle, pas de commissaire de course, pas de repas ou moment festif à l'arrivée- hormis la cérémonie du podium conduite sur le mode 'show télévisé' peu propice aux échanges avec les Rata heroes ayant bouclé leurs parcours ou avec les DNF comme moi ! Certes, un départ sur la place de Nauders amusant avec la télé, les photographes, le speaker. De même que l'arrivée pour les finisseurs est sympa, avec accueil systématique (du moins pour ceux qui rallient la ligne d'arrivée avant 18h), interview immédiate et bock de bière tendu devant quelques dizaines de spectateurs (le lendemain, un énorme peloton de cyclosportifs s'élance de Nauders pour le Stelvio, puis descente de l'Umbraï et remontée sur l'Ofenpass).
Mon impression dominante : les 400 € donnés ont surtout servi à financer les primes versées aux premiers, ce qui a plutôt tendance à me gêner aux entournures. Bref l'esprit me convient très moyennement. Mais ceci n'engage que moi ! Et ne m'empêchera peut-être pas pas de prendre part à nouveau à cet évènement (mais de manière différente), si jamais je réussis à mettre un entraînement spécifique haute montagne en place pour mi juin - mais auparavant, ce sera au tour d'André de s'y essayer. Certes, sur le coup, j'ai dit : 'Plus jamais !'.
D'ailleurs, je crois même avoir juré mes grands dieux que j'arrêtais le vélo, que seules études anglicistes, lecture et broderie occuperaient mes heures de loisir dorénavant !
Moralité de cette histoire : le viel adage populaire selon lequel souvent femme varie se trouve une fois encore vérifié car le weekend suivant nous étions, André et moi, sur les routes de la vallée de l'Ubaye pour le DFU et avons bouclé le parcours des 7 cols (environ 7000 m de dénivelé et 330 km).
Et pour accroître la motivation des postulants à la RATA 2010, quelques vidéos à trouver sur
cette page. Et également
le classement 2009 - mieux vaut avoir une idée des forces en présence !
Texte écrit et édité par Patricia.
Photos prises par Marie Noëlle, André et Patricia.