Les chiffres
735 km, 15000 m dénivelé +
De Vyssi Brod (Bohême sud) à Varnsdorf (Bohême nord), en République tchèque.
Courts passages en Autriche et en Allemagne.
78 partants, 20 abandons seulement
2019 : deuxième édition
Le podium masculin :
- Martin Strelka 2 jours 6 heures et 47 minutes
- Radek Musil 2 jours 10 heures et 3 minutes
- Petr Novak 2 jours 13 heures et 16 minutes
Le podium féminin :
- Jitka Brunnerova 3 jours 23 heures et 14 minutes
- Katerina Hola 4 jours 10 heures et 32 minutes
- Patricia Berthelier 4 jours 20 heures et 20 minutes
Nos chiffres
Temps total : 4 jours 20 heures et 20 minutes (116h20)
Temps de déplacement : 68h00
Temps total des arrêts et des bivouac : 48h00
Temps de sommeil total : 18 heures
Notre classement : 42° et 43°
Temps moyen de sommeil quotidien : 3h35
Temps moyen de déplacement quotidien : 14h00
Temps moyen d'arrêt et bivouac quotidien : 10h00
Remerciements liminaires :
- à Jan Svarcbach, concepteur, créateur et organisateur de cette envoûtante, magnifique et magique Bohemia Divide - son amour profond pour la nature, la forêt et sa Bohême forment les sources d'inspiration auxquelles il puise, avec le soutien de son épouse Erika. Un immense merci à eux deux, ainsi qu'à Ella, pour nous avoir tant offert et nous avoir accueillis si amicalement chez eux à Prague, après la Bohemia Divide.
- à Olivier Ollagnier, Curve Engineering, concepteur et assembleur et metteur au point de mon Curve, et de celui d'André, pour son écoute, son dévouement, son professionnalisme, sa passion et sa disponibilité amicale et bienveillante.
- à Michele de Miss Grape pour sa confiance, et à Miss Grape pour la qualité et l'esthétique de leur bagagerie.
- à Pavla Sirůčková, notre photographe impromptue à Kladno pour ses superbes clichés
Voici Jan qui nous parle de sa Bohemia Divide :
Jalon 1
La veille du départ, le samedi après-midi, la Bohemia Divide devient concrète avec l'arrivée de Jan, Borek et Jiri - notre équipe organisatrice. Joie à enfin voir Jan après tous nos échanges en ligne depuis bientôt 10 mois. Ils investissent la grande salle du gîte, disposent les 90 plaques de cadre et trackers dans l'ordre et avec célérité. Impressionnant. Jan a son ordinateur, il nous propose de télécharger les traces gpx modifiées ces derniers jours sur nos gps. Les premiers participants arrivent, les conversations en tchèque vont bon train, nous nous affairons à optimiser bagagerie et matos/équipement embarqué. Jan me présente à un coureur tchèque, en anglais - wow il s'agit de Martin Strelka, le vainqueur incroyable de la French Divide 2019 ! Inutile de dire que je le bombarde de questions - so cool. Nous discutons bikepacking, son anglais est excellent, pour cause il habite en Nouvelle Zélande depuis plusieurs années, et nous voici invités chez lui à Nelson début 2020, lors de notre périple austral à venir.
Côté chargement vélo, pas moyen de faire léger, mon Curve doit dépasser les 20 kg avec les 3 L de liquide, les sandwiches et un nombre impressionnant de barres embarqués. A 18h00, je décide que je ne peux faire moins léger, les dés sont jetés.
Il est temps de rejoindre le Pivovar Jakub pour la soirée d'avant course.
Jalon 2
Une pinte de brune, délicieuse, et nous nous installons dehors à côté de Olaf, Borek et Jiri. Olaf nous raconte sa Bohemia Divide 2018, la première édition où il a fini 4° après avoir été en tête un certain temps. Nous parlons de la TransGermany et de la 1000 Miles, autres épreuves bikepacking de renom entre Allemagne et Républiques tchèque et slovaque. Ce sont des pays où les adeptes du bikepacking off road sont nombreux et expérimentés, endurants, prêts à affronter des conditions peu faciles et il n'y a pas à s'y tromper, ce sont de solides rouleurs. Mon André et moi faisons figure de grignettes dans cet univers slave bien trempé. Et en plus, nous sommes de piètres buveurs de bière en comparaison de nos camarades de jeu - une seule pinte et nous rentrons.
Jalon 3
Certains rentreront bien entamés au-delà de minuit, y'a pas à dire ce sont des costauds !
Le départ à midi nous permet un lever tardif, et un petit-déjeuner détendu et complet - le gîte s'anime à vitesse grand V. Beaucoup ont dormi ici, et les participants arrivent par paquets - Jan qui s'est couché à presque 3h00 du matin, afin d'accueillir les retardataires, a besoin d'un bon café.
Chacun retire sa plaque de cadre, et tracker contre une caution de 100 euros. Simple et efficace.
Dehors, c'est une vaste exposition de vélos bikepacking. Soleil, bonne humeur, discussions animées. Un soupçon d'inquiétude me traverse lorsque je constate que beaucoup ont des vélos peu chargés - qu'est-ce à dire ? Nous avons fait le pari de l'autonomie totale avec bivvy, matelas, sac de couchage, réchaud, casserole, tasse, etc...Pas le moment de changer de stratégie - alea jacta est.
Trois autres féminines sont présentes, ouf. L'une d'entre elles parle même anglais, le top. Elle est de la région.
Jalon 4
Nous allons faire quelques tours de roue avec André, histoire de tester vélo et chargement, et nous manquons le briefing - je le saurai à postériori, pas grave.
Enfin tout le monde se dirige vers le haut du bourg. Encore un peu d'attente, les minutes passent lentement, une photo de groupe, les douze coups de cloche et nous nous élançons enfin derrière Jan.
Au départ et les premiers tours de roue de la Bohemia Divide. Crédits photos @BohemiaDivide
Dans le vif du sujet 1
En guise d'intro humouristique, Jan nous a réservés la montée du chemin de croix au-dessus de la ville - annonce du calvaire auquel il nous destine ? Qui vivra verra.....
A partir de là, et de cet instant, je me suis concentrée sur ce que j'avais sous mes roues et sous les yeux. Pour les cinq jours à venir. Ce fut largement suffisant. En fait, plus que suffisant.
Ma Bohemia Divide fut tour à tour, et tout en même temps, enivrante, exténuante, ravissante, affolante, irritante, charmante, exhorbitante, attirante, désespérante, captivante, grisante, décourageante, réjouissante, haletante, époustouflante, épuisante, exultante, abberrante, inspirante, transcendante, stupéfiante, hallucinante, renversante, ébahissante, enthousiasmante, fascinante, et bouleversante de fond en comble - la palette de mon ressenti fut si changeante, si fluctuante et si nuancée que j'ai tout vécu comme allant de soi, avec aisance, dans la mesure où les projections et objectifs de progression ou autres mensonges de la compétition n'avaient pas de place dans l'univers que je me suis construit sur les chemins de la Bohemia Divide.
J'étais uniquement portée par cette nécessité joyeusement choisie d'avancer advienne que pourra, vite ou lentement, en limitant les pauses et arrêts autant que possible, et tout en veillant à ne pas déboucher dans l'inconscience. J'étais en exploration, en état de vigilance et attention conscientes, en état de renouvellement constant. Pas de doutes ou d'interrogations déstabilisantes, juste savoir et percevoir où et quand ravitailler, boire, manger et dormir, comment me vêtir au petit jour ou la nuit pour ne pas trop transpirer ou grelotter, comment conserver une hygiène minimum et ne risquer aucune blessure à la selle ou aux pieds, comment économiser les muscles qui fatiguaient, comment donner de l'aisance à mon corps qui se tuait au travail. Veiller à toujours prévenir plutôt que guérir - c'est là l'affaire principale du bikepacker, rester ancré dans le présent, prendre soin de son corps et de son vélo, réunir un maximum d'atouts pour pouvoir avancer toujours, et se relier à tout ce qui l'entoure.
Et puis bien sûr il y a la trace à suivre, de jour et de nuit. Sur les courses bikepacking vtt, la navigation gps exige de l'attention, de la lucidité et de la clairvoyance à tout instant, même au creux de la nuit lorsque sommeil et fatigue deviennent envahissants et qu'il nous tarde de trouver un lieu de bivouac viable. Nous avons fait plusieurs micro-erreurs, des embranchements manqués de quelques mètres, rien de grave ou pénalisant, ceci fait partie intégrante du déroulé des heures et des jours et il faut savoir accueillir sans jugement les erreurs et tous les autres aléas de l'aventure - c'est le fruit de l'expérience, et la nôtre s'étoffe toujours un peu plus. Là encore, aisance.
En ce qui me concerne, la seule source de tension que j'ai eu du mal à négocier sur la Bohemia Divide fut le manque de fiabilité de mon système d'éclairage, surtout que les heures de roulage nocturne ont été nombreuses - la nuit tombe à 19h00 et le jour se lève à 6h30. La première nuit mes lampes avant et arrière, alimentation dynamo, ont magnifiquement fonctionné - les descentes souvent très roulantes furent dévalées à tombeau ouvert. Tout a déraillé la nuit suivante : lumière avant qui ne fonctionne plus que de manière intermittente, et qui s'éteint définitivement et sans prévenir en pleine descente technique, plus que le maigre faisceau de lumière fourni par ma petzl (utilisée pour la lecture de l'écran gps) pour me guider - certes, André étant devant je pouvais bénéficier de son éclairage. N'empêche que j'ai très moyennement goûté au truc, agaçant d'avoir un composant aussi essentiel qui lâche et de me retrouver avec un éclairage de misère pour toute la suite de notre périple - heureusement pour tout le reste mon Curve a été merveilleux de coopération active et d'intelligence, quel plaisir éprouvé à son guidon. La troisième nuit, une fois l'irritation disparue, et après avoir appris à caler mon regard dans la trace lumineuse d'André loin au devant, ce défaut d'éclairage m'a introduite à d'autres intensités de perception, comme ressentir la nature toujours changeante du terrain et du revêtement sous mes pneus avec plus d'acuité et de finesse, ou bien percevoir les ombres et silhouettes dans la pénombre avec plus de précision, et quelle présence sonore dans le calme de la nuit. Le pourquoi de cette panne lumière ? des fils d'alimentation trop tirés et un mauvais contact, le truc totalement idiot - de toute façon c'est toujours idiot. Ce sera mieux la prochaine fois. Pour la dernière nuit, André m'a équipée d'une lumière surnuméraire qu'il avait, reliée à mon chargeur, ce fut Byzance en Bohême du nord, dans les circonvolutions fantastiques et fantasmagoriques du Nordkap qui épouse le dessin frontalier entre Allemagne et République tchèque.
Dans le vif du sujet 2
La Bohemia Divide est une épreuve unique, à part. C'est un joyau. Un diamant.
Elle avait exercé sa fascination sur moi de longs mois avant que nous n'en prenions le départ. J'étais tombée en amour de cette course imaginée par Jan avant même de connaître quoi que ce soit de la Tchéquie. Je m'étais cependant gardée d'espérer ou d'attendre quoi que ce soit de cette ivresse qu'elle me promettait. Je me suis installée en elle dès les premiers coups de pédale, et dieu que le voyage dans lequel elle m'a entraînée fut magique et merveilleux et fantastique, au-delà de tout ce que mon imagination aurait pu concevoir. Bien au-delà. Quelle reconnaissance - là, maintenant, en écrivant ces mots, je pleure des larmes de gratitude pour ce cadeau qu'elle a été.
A mes yeux, elle est comme une oeuvre d'art, rare, ineffable, inexplicable. Ses presque 740 kilomètres et 15000 m de dénivelé positif m'ont introduite à un autre univers et m'ont ensorcelée.
Un tracé ciselé, épuré, des check points bien pensés (brasserie, café ou auberge) et bien échelonnés, des photos insolites et obligatoires, une itinérance bohémienne du sud au nord magique de beauté et de surprises insolentes, des forêts à n'en plus finir où il est si paisible d'être et d'où l'on voudrait ne plus sortir, le flux des eaux toujours et encore - la Vtlava, les étangs, les lacs, les ruisseaux et rûs, des villes et villages et hameaux vite et facilement traversés pour la plupart, la ruralité épanouie avec ses arbres fruitiers qui bordent les routes, l'industrialisation décadente ou contemporaine annoncée par les fumées de hautes cheminées visibles de très loin, l'opulence et la profondeur des verts, la tendresse des prés et patûres, la plénitude des bois, la douceur des pistes gravel, l'arrachement des chemins caillouteux, le velouté des sentiers où se décomposent à petit feu feuilles mortes et aiguilles de sapin, les soubresauts cahotiques des racines enchevêtrées et joueuses. Cette ligne d'horizon d'une rare harmonie, faite de monts à la silhouette arrondie et qui se succèdent au loin comme les crêtes des vagues d'un océan assagi et vénérable - quelle beauté, impossible de ne pas vouloir se dissoudre en elle.
Et cette odeur de bois, le bois coupé, le bois écorcé, le bois taillé, le bois brûlé - comme une senteur, une effluve de bonheur chaleureux présente partout. Le bois, matière première incontournable, si belle et si vivante, et qui se prête à toutes les formes et toutes les créations : maisons, meubles, jouets, abris, barrières, bancs, tables de pique-nique, mangeoires pour le bétail, sculptures, statues....déjà cette présence pénétrante du bois me manque.
Et dans la profondeur des forêts, l'odeur fine et persistante de l'humus, et des champignons. Plongée dans mon enfance. J'aurais voulu la capturer dans un flacon de parfum, pour pouvoir m'en imprégner encore, lorsque le besoin s'en fait sentir.
Et la nuit cette paix incroyable qui régne dans la campagne et les bois, parfois il m'a semblé pouvoir la toucher, la palper, cette félicité de la nature laissée à elle-même.
Et puis il y a ces lieux comme imprégnés de sacré, que Jan a savamment égrenés tout au long du parcours : le sommet du Klet, le monument Ziska, le massif de Brdry, le mont Kuchinka avant Dobris, Kladno, le mont Rip, l'aéroport soviétique et désaffecté de Hadcany, le mont Raisko, le sommet du Jested, le défilé de roche comme un entonnoir, les éboulis monumentaux de granit, le Nortdkap, et tous ces autres sites dont j'ignore le nom ou même l'emplacement, maintenant que tout se confond et se superpose dans le kaléidoscope de ma mémoire. A chaque fois, j'ai été traversée d'une onde de plaisir pur et de gratitude à être là, à pouvoir percevoir la générosité démesurée de cette terre que nous habitons. Tous ces lieux m'ont permis de vivre des moments essentiels d'intégration et de connexion, magnifiés par l'énormité des efforts consentis pour me retrouver là, à cet instant, hors de ma zone de confort, hors du connu, hors de l'attendu et du prévisible. Et de pouvoir continuer ma route toujours plus avant, en emportant avec moi cette profusion d'être, glanée ici et là. Ce n'est pas de la fierté ou du contentement, ou je ne sais quoi d'autre qui ramène en boucle à l'égo, c'est la perception de la puissance que je deviens lorsque je suis dans cet espace indéfini et infini. Le mystère de ce qui m'a rendue accroc au bikepacking off road en mode course est là, tout entier.
Dans le vif du sujet 3
Pour affiner les contours de la Bohemia Divide, il me faut ajouter au tableau la stupeur des sections 'hike-a-bike', c'est-à-dire les passages impassables sur la selle et où il te faut te résoudre à devenir la bête de somme de ton vélo. Stupeur n'est pas un mot vain dans le cas des sections de poussage/portage sur la Bohemia Divide. En fait, c'est d'abord de l'incrédulité à découvrir ce qui t'attend...tu évalues rapidement la longueur du passage, estimes la hauteur des roches à escalader, jauges le risque de glissade, étalonnes le degré de difficulté, et tu te dis putain, je vais y arriver comment avec mon Curve de 20 kilos ? Ensuite, tu commences à chercher le meilleur endroit où mettre un pied puis l'autre, tu assures, tu pousses, tu portes, tu glisses, tu jures, tu sues à grosses gouttes, tu halètes, tu fais une pause et reprends ta respiration, tu lèves la tête......pétard, j'y crois pas, c'est pas fini, et c'est encore pire, la pente se dresse tout droit. Et puis, ton corps délivrant de l'adrénaline à fond la caisse (il est pas idiot ton corps, il sent bien que là ça chauffe grave pour lui, que l'instant requiert toute son attention s'il veut s'en sortir sans trop de dommages), tu ahannes ton chemin avec ton Curve adoré dans les bras ou sur l'épaule, tu soulèves son cul pesant pour franchir certains rochers, tu lui parles à ton Curve, tu le sommes de se faire léger et de t'aider au plus fort de la pente parce que sinon tout ça va mal finir, tiens d'ailleurs tu vois j'ai failli rouler-bouler en arrière, on aurait l'air fins tous les deux, hein....allez mon Curve, ô hisse... jusqu'en haut, jusqu'à la cime, tu ne sais pas trop comment tu y arrives, mais tu rends grâce à Greg, aux séances de musculation suivies tout au long de l'année, et ton visage s'épanouit dans un sourire totalement idiot de contentement, yessssss....je l'ai fait, et tu es tellement chauffée à l'adrénaline ou autre connerie de ce genre, que tu enquilles ce qui suit avec une confiance et un aplomb dignes d'un bibendum Michelin. La stupeur hébétée s'est transformée en ivresse hallucinée ! Shoots garantis chaque jour, parfois plusieurs fois par jour, à chaque fois un peu plus haut, un peu plus fort, un peu plus difficile. En deux occasions, André est venu à ma rescousse, à l'aplomb de mon hébétude, j'étais trop lente à progresser j'imagine - je l'ai laissé faire, chose totalement inhabituelle pour moi. La Bohemia Divide a aussi été cela : mon olympiade des 'hike-a-bike'.
Je suis accroc, totalement accroc à la Bohemia Divide !
Dans le vif du sujet 4
A mon vécu personnel, s'est bien sûr ajouté notre vécu de couple, puisque André et moi ne nous sommes jamais quittés tout au long des cinq jours sur les chemins de la Bohême. Ce fut une première pour nous de rester ensemble du début à la fin. Il est indéniable que rouler en duo est une dimension supplémentaire, qu'il faut savoir appréhender sur une épreuve comme la Bohemia Divide. Pas forcément facile à vivre tout le temps d'ailleurs, dans ce contexte de course. Pour lui, parce qu'il m'a attendue souvent, très souvent, la plupart du temps en fait - du moins dans les montées, et qu'il avait les jambes pour aller beaucoup plus vite. Pour moi, parce que sentir en permanence qu'il se ralentissait à cause de moi, et s'impatientait de ma soi-disant lenteur, s'est révélé pénible à la longue. Et puis, le mode course ne résonne pas de la même façon en nous - j'aime la compétition autant qu'André, mais pas de la même façon peut-être. Je ne me suis jamais préoccupée de la position des autres participant(e)s, des kilomètres accomplis et restant à accomplir, des heures de selle effectuées, je ne sais pas être dans les chiffres ou le classement - j'ai le point de vue, intéressant ou pas, que nous les femmes ne vivons pas la compétition sur le même mode que vous les hommes, sauf si bien sûr nous nous identifions au modèle masculin qui domine en matière de compétition sportive. Mais ceci est un autre sujet. Pour en revenir à notre duo, nous avons eu des mots, des échanges pétaradants, des bouderies de quelques minutes - cela a mis du paprika dans notre quotidien, devenu à certains moments presque aussi piquant que les plats ou snacks aux noms incompréhensibles mangés sur notre route. Ce fut parfois un aiguillon très salutaire pour moi - un peu compliqué à comprendre, je ne pige pas tout de mes réactions ou de celles d'André. Quelle importance d'ailleurs ? Ni l'un ni l'autre ne restons ancrés dans nos limitations, nous savons que le rythme épuisant de ces aventures en bikepacking a des effets secondaires hors de notre contrôle, et tous deux savons ce qui nous unit sans avoir besoin de le dire et redire. Nous avons surtout vécu des moments incomparables ensemble, et avons engrangé des souvenirs communs bien peu ordinaires. Toutes nos heures de roulage nocturne, avec une pluie fine ou abondante ou pas, se détachent comme un enchantement dans mes souvenirs, cette exaltation à être au coeur de soi et du monde, en dépit parfois des jambes qui n'avancent plus, ou de la tête qui tourne. Plénitude à deux absolue. Et puis il y a le bonheur des bivouac à deux, souvent décrétés à des heures et dans des lieux improbables, pas toujours de manière unanime d'ailleurs - vous reprendrez bien encore un peu de piquant avant de vous coucher... Nous retrouvions alors notre rituel bien huilé de couple, chacun s'affairant aux tâches qui lui incombent, en silence et avec diligence, un bisou, tendresse, bonne nuit, et c'est parti pour le sommeil - en ce qui me concerne du moins, car il parait que je ronfle comme un sonneur et que mon André ne peut pas fermer l'oeil, enfin c'est ce qu'il dit parce que bizarrement je l'ai aussi entendu ronfler parfois. De toute façon, les heures de sommeil sont si peu nombreuses que nous n'allons pas en faire tout un plat, hein ? Et aussi, cette assurance que peu importe ce qui advient, nous serons tous les deux, unis lorsque ce sera nécessaire.
Dimanche 22 septembre, départ à midi de Vyssi Brod (Sud Bohême)
Départ à l'arrière, montée rude du chemin de croix en intro, mieux vaut laisser courir, et puis cela bouchonne. Superbe météo, soleil et chaleur. Petit passage en Autriche, au débouché d'une magnifique forêt. Beaucoup plus loin, après de nombreuses ondulations du terrain, premiers échanges avec Katka ou Katerina, jeune femme magnifique et participante solo - elle me dit avoir de nombreux copains et amis sur la course. Une belle descente technique avant Rosmberk nad Vltavou, très beau bourg connu pour son château du moyen âge et renaissance sur lequel je n'ai pu que jeter un coup d'oeil. D'autres ascencions aux pentes appuyées nous attendaient. Ainsi que d'autres descentes sur monotraces dans les bois, fun maximum garanti, plus encore lorsque nous rattrapons Jitka et faisons quelques kilomètres toutes les trois ensemble, avec André. Jitka et Katka sont des as de la descente, style coulé et fluide, comme si elles étaient sur des skis - toutes deux pratiquent le ski de fond d'ailleurs. Je me régale dans leur sillage, et quel plaisir que de rouler avec d'autres féminines adeptes de la course bikepacking.
Bientôt je dois m'arrêter hélas, piles à changer pour la troisième fois - surtout ne plus jamais acheter de piles en promotion.
Jusque mi après-midi, nous roulons sur pas mal d'asphalte, la moyenne est bonne malgré un dénivelé déjà bien senti. Nous sommes six à huit participants dans le même rythme, à nous doubler et redoubler souvent en fonction des erreurs de parcours, des problèmes techniques ou mécaniques.
Côté paysages, du pur bonheur : prairies et forêts, hameaux autrichiens puis tchèques, pâturages, petits villages comme des tableaux du paradis, chemins et petites routes, rivières et rûs allègres, vaches dans les champs, bois de bouleaux si légers et aériens.
La soirée s'effectue presque entièrement sur les chemins, contraste complet avec la première partie. La montée forestière du Blansky jusqu'au premier sommet au-dessus de 1000 m, le Klet, entamée en toute fin d'après midi est longue et ardue et là-haut il ne fait vraiment pas chaud. Au sommet nous nous retrouvons une bonne vingtaine : il y a une auberge, à l'allure bien accueillante, ce que nous ignorions. Tant pis, nous enfilons un coupe-vent et nous enquillons le chemin de la descente, car la nuit s'installe. Ensuite, ce fut une succession de chemins en forêts, montées et descentes en alternance, au bout d'un moment on ne sait d'ailleurs plus si l'on monte ou si l'on descend. Quelque part je m'étale par terre sans aucune raison après avoir traversé un bourbier puis je perds ma lampe frontale dans une descente effectuée à vive allure, euphorie complète, et dois faire un retour arrière....heureusement c'est bientôt la fin du premier tronçon, à Kratochville, premier CP atteint aux alentours de 21h30. Joie de retrouver Jan, qui nous attend tous avec une patisserie et de l'eau et nous parle du château où il a officié en tant que guide pendant 5 ans, lorsqu'il était étudiant. Après un arrêt de 30 mn environ, le premier depuis le départ (ravito, photos, toilette et habillage pour la nuit), nous voilà repartis sur les chemins pendant 1h30 environ. A 23h30, je décrète le bivouac dans l'abri en bois de la gare de Prazak. André lui aurait bien continué, il renâcle. Mais la route est encore longue. Avant de m'endormir, j'entends plusieurs vélos de bikepackers traverser les rails du chemin de fer. Il y avait donc du monde derrière nous !
Temps de bivouac : 6h00
Temps de sommeil : 4h00
Lundi 23 septembre, départ à 5h30 de Prazac
Le départ est aisé en fin de nuit, nous sommes rapidement sur des chemins champêtres.
Nous débouchons bientôt sur un promontoire où trône une statue impressionnante, au milieu d'un décor d'étangs et de brume. La statue représente Jan Ziska le chef militaire de la révolte hussite, et me laisse une impression d'irréalité totalité - quelle belle manière de s'éveiller au jour. Le lever du soleil est sublime et je saisis l'opportunité un peu plus tard d'en fixer les couleurs en bord d'étang. Quelques kilomètres plus loin, à Cejetice nous avons la chance de trouver une Coop ouverte dès 7h00 du matin, emplettes rapides - stock de piles Kodak, de viennoiseries délicieuses, d'eau gazeuse et jus de fruit. Nous traversons ensuite les villes déjà animées de Strakovice, Katovice et Strelské Hostice, tout en suivant le cours délicieusement paisible de l'Otava. A 9h00, pause déshabillage et rafraichissement en bord de route - une jeune femme inspecte l'herbe, à la recherche de champignons. Nous échangeons quelques sourires et un ou deux mots en anglais. Le reste de la matinée suit son cours tranquillement, du roulant et du facile, je sais que ce sera le seul répit jusqu'à l'arrivée, je déguste à petites touches. Arrive Blatna, de nombreux vélos de Dividers aux terrasses et devantures de magasins, nous filons. Un peu après, dans une montée, une féminine de la Bohemia Divide nous double comme un boulet de canon, il s'agit de Jitka Valova, qui abandonnera le lendemain. Suit un épisode absurde, comme je sais si bien les créer : la première photo obligatoire, celle du buste de Christian Battaglia - je n'ai vérifié ni la nature ni le lieu de la photo à prendre, imagine qu'il s'agit d'une croix en haut d'une colline, et me contorsionne pour réussir à capturer André, mon visage et nos vélos devant la croix du Christ dans le même cliché. André s'agace, d'autant plus que l'un des Dividers en profite pour nous doubler.....je fais profil bas, enfin j'essaie. Midi approche déjà, nous squattons la place centrale de Belcice après avoir effectué un raid dans la Coop locale. Longue pause d'au moins une heure à refaire les paquetages, changer les piles, préparer les ravitos pour l'après midi, le soir et la nuit. Rejoints par Katerina au moment de notre départ. Nous la reverrons plusieurs fois par la suite. L' après-midi fut beaucoup plus violente dans l'effort, le dénivelé et la technique, avec une succession de montées et descentes raides sur chemins, parfois roulants, parfois ardus et nécessitant une débauche d'efforts dans le massif forestier de Bdry. Des parties réminiscentes de la lande allemande sur Across the Five en fin d'après midi jusqu'au sommet du Tek avant d'entamer une longue partie en descente, dont une section très olé olé effectuée à pied, trop dangereuse à effectuer sur vélos chargés. Nous croisons un vététiste qui s'arrête pour nous applaudir - wow, incroyable comme cela me booste. Magique tout ce temps de l'après-midi, comme hors du temps, et hors géographie. Bientôt, il ne nous reste que 12 km avant le check point, comme un soupçon d'euphorie - il nous faudra presque deux heures pour effectuer la distance, une succession de montées de oufs, dont mon premier poussage, alors estimé cuisant - innocente que j'étais... Puis une descente intimidante dans l'obscurité, en raison de ma lampe défectueuse, mais hilarante néanmoins. Et voici déjà la merveilleuse auberge qui fait office de CP2, en lisière de forêt et au-dessus des lumières de la ville de Dobris. Il doit être aux alentours de 20h00. Au moins quatre Dividers, dont Katerina, sont là à se restaurer ou les yeux rivés sur leur smartphone. Katka nous aide à commander bière, soupe et plat de viande. Lorsque je reviens des toilettes, tout est déjà servi. Fabuleux, délicieux. La douce chaleur de l'auberge, des rires des serveurs et du repas m'envahit, je me sens glisser dans une certaine torpeur. Il est 21h00, je sais que je n'aurai pas l'énergie nécessaire à repartir. Katka elle se prépare déjà pour reprendre la route des bois. Nous sommes autorisés à établir notre bivouac sur le terrain attenant à l'auberge. André nous trouve un plancher en bois extérieur, un point d'eau et WC à côté, le top. Trente minutes plus tard, je dors déjà. Dans la nuit, arriveront une dizaine de Dividers qui éliront domicile sous l'auvent de la terrasse, il n'y a pas que moi qui ronfle en dormant !
Temps de bivouac : 6h15
Temps de sommeil : 4h30
Mardi 24 septembre, départ à 4h00 de Dobris.
Matinée roulante, mais accidentée et avec du dénivelé. Après une belle première ascencion sur une petite route, je suis sans force, les jambes asphyxiées, je me traîne. Il pleuvine, j'ai chaud, j'ai froid. Lors d'une descente un tantinet technique, je prends conscience de mon manque de lucidité, mon cerveau ne réussit plus à assurer la coordination motrice nécessaire - la chute guette. Je décrète une pause et je reprends des forces grâce à une collation prise sous un abri en bois, une fois le jour levé ou presque. C'est l'occasion de voir passer le Divider au vélo gravel qui semble se plaire à nous dépasser chaque matin. Nous le reverrons encore une fois dans le Jested. Nous passerons la ville de Zdice tout debout, l'animation urbaine ne nous inspire pas, nous n'aspirons qu'à la forêt. Hey, fun, voici une section hike-a-bike bien corsée qui réussit à me remettre dans le groove, car déclencheuse d'adrénaline. Merci au Krusna Hora, qui m'a redonné vigueur et joie ! Une pluie fine parfois, un ciel gris, habillage-déshabillage fréquents. Des fonds de vallons charmants. Mi-matinée, nous refaisons les pleins dans une Coop à Nizbor, dévorons gâteaux et sandwiches, préparons nos ravitos pour la journée et la soirée. Après cette halte, je suis en parfait état de fonctionnement, la condition comateuse de la fin de nuit est loin derrière moi. Les nuages de pluie nous collent aux basques, nous faisons fissa. Une fois sortis du massif forestier et montagneux du Knvoklatsko, Kladno sera rapidement là. A peine entrée dans la ville, une photographe me mitraille au détour d'un sens interdit, je m'en amuse. André bénéficiera d'une salve identique quelques minutes plus tard. Pavla, un chaleureux sourire aux lèvres, nous rattrape hors d'haleine au CP3, le café Lodestar en plein centre ville ancienne. J'avais complètement zappé ce CP, heureusement que Pavla était en embuscade. La pause en terrasse est délicieuse, une fois les commandes prises. Gâteau au chocolat, cheesecake, café latte, sandwich très pimenté, tout y passe, dans le désordre. Pavla doit repartir travailler, notre rencontre éclair fut charmante. Sont également survenus deux jeunes Dividers, déjà vus le matin à Nizbor, et que nous reverrons le lendemain matin à deux reprises - amusant comme les fils se tissent et se dé-tissent.
J'ai adoré la ville de Kladno, la ville de Jan, son lourd passé industriel lisible dans chaque bâtiment, et chaque pli d'asphalte. Je me suis aussi beaucoup plu dans la section qui a suivi, et qui nous a occupés toute l'après-midi et le début de soirée : de l'horizon, de l'inattendu sauvage, la traversée du grand centre urbain de Kralupy nad Vltavou...et puis il y a eu le Rip, ce mont que nous avons escaladé à la force de nos mollets. Puis le repas du soir pris dans un café-restaurant de Roudnice, ville aux rues entièrement pavées, et dont nous avons peiné pour nous extraire une fois la nuit tombée. Les berges sablonneuses du Labe nous ont menés jusqu'au centre industriel de Steti, illuminé de mille feux dans la nuit. Nous fûmes soulagés de retrouver la forêt, et rompus par cette troisième journée, avons élu domicile dans un abri bus à Tupadly, en bord de route passagère même en pleine nuit. Il était 23h00. Le fracas des camions et voitures ne m'a pas empêchée de dormir.
Temps de sommeil : 4h00
Temps de bivouac : 6h00
Mercredi 25 septembre, départ à 5h00 de Tupadly
Jour de pluie. Partis à 5h00 de notre abri bus, après un bon petit déjeuner grâce aux provisions faites la veille et à nos réchauds, avons fait pas mal de grimpettes ensuite, sur chemins en grande partie. Toujours pas d'éclairage digne de ce nom sur mon Curve, cela ne m'empêche pas d'apprécier les descentes, certaines techniques. Les paysages parcourus le matin sont enchanteurs, nous sommes dans un vaste massif montagneux et forestier, aux pentes douces pour la plupart. Des pins maritimes, des chemins et sentiers faciles à nos roues, des amas de roches, plus tard un défilé - ce fut une des plus belles matinées, malgré la pluie bien présente et les températures en nette baisse. Hélas aucun nom de lieu dont je me souvienne, j'étais comme hors temps et hors définitions, douilletement installée dans mon corps, la nuit et la nature autour de nous. Avant de rejoindre la ville de Staré Splavy, en bord de lac, sous une pluie abondante aux alentours de midi, nous traversons un ensemble de monts exigeants, vrai repère vététiste qui, à défaut d'être roulant, nous offre un maximum de beauté sylvestre et de fun, y compris une nouvelle section de poussage. Un seul restaurant ouvert à Staré Splavy, ville de loirsirs vacanciers devenue fantôme en cette fin de saison estivale. Nous y mangerons vite et superbement bien, nous avions grand besoin de chaleur et de nourriture. Ravigotés, nous sommes repartis la fleur au fusil, sous la pluie toujours. Encore quelques tours dans des monts tout aussi beaux que ceux du matin, au nord de Staré Splavy. Puis nous voici à rouler sur l'asphalte d'un immense terrain d'aviation surréaliste, totalement désert, à proximité de Hradcany - le lieu est incroyable et nous sommes comme abasourdis par les installations gigantesques, les innombrables hangars aux immenses portails d'acier fermés depuis plusieurs décades certainement, et qui se fondent dans leur camouflage végétal - quelle armée de l'air a opéré dans cet espace immense ? quelle excitation guerrière y a prévalu ? quelles nouvelles du front de l'oppression et de la mort y ont été répandues ? L'air est encore plein du ballet des avions sur la piste et des vrombissements des moteurs, semble-t-il. Nous en faisons le tour, comme seuls au monde après une catastrophe majeure - la sirène tonitruante d'une voiture de police nous réveille de notre torpeur...Plus loin, dans la ville de Mimon, je fais des courses au supermarché afin de reconstituer nos provisions emportées jusqu'au lendemain, pendant que André garde les vélos. Une nouvelle averse, et bientôt nous attaquons une montée de malades mentaux. Nous ne le savons pas encore, il s'agit du Raisko, et notre calvaire ne fait que commencer. Deux orages plus tard, et deux sections de poussage ahurissantes plus loin, et après 2h30 d'efforts paroxystiques pour couvrir 3 km, nous rejoignons enfin l'asphalte - quelle douceur ! La pluie, l'humidité et le froid ne vont pas en s'améliorant avec la tombée du jour qui s'annonce, un spot paradisiaque à l'abri de la forêt du mont Dévin, et voici le temps venu de s'habiller chaudement et d'allumer nos feux. Nous poursuivons sur l'asphalte, un bonheur après le Raisko, partis pour en découdre avec le Jested, l'autre sommet à plus de 1000 m d'altitude de la Bohemia Divide. Mais soudain, une à deux heures plus tard, André ne se sent pas bien du tout, il a pris froid. Un abri bus tout en verre, et providentiel, nous tend les bras dans le village de Domaslavice, qui sait si nous pourrons trouver à nous abriter de la pluie plus loin, maintenant que nous avons entamé la vraie montée sur le Jested ? La décision de stopper ici est prise dans la seconde qui suit...21h00 je ronfle et André aussi.
Temps de sommeil : 4h00
Temps de bivouac : 6h00
JOUR 5 -Jeudi 26 septembre et des poussières, départ à 4h45 de Damaslavice
Nous partons de notre abri bus en verre en même temps que les premières travailleuses. La montée jusqu'au Jested sera longue dans la nuit : un début asphalté, puis nous attaquons les chemins, d'abord dans un espace ouvert, ce qui nous permet de contempler les lumières de Liberec tout en bas dans la plaine, superbe spectacle nocturne. La nuit est froide et ventée, il bruine seulement. Puis nous pénétrons dans la forêt, je passe certains passages à pied, choisissant de progresser à l'économie, il y a de fortes chances que la journée puis la nuit qui va suivre seront très longues ! J'aperçois un Divider endormi sur une table en bois dans la forêt, gosh il ne doit pas avoir chaud, il fait à peine 1°, je me félicite de notre décision d'installer notre bivouac à l'abri hier au soir. La montée n'en finit plus, après la station de ski je vois David et son vélo émerger d'une entrée de commerce où il a visiblement pris abri pour dormir. Nous échangeons quelques mots, comme s'il n'y avait rien de plus normal que de se croiser au sortir de la nuit dans un endroit aussi désert. André lui caracole loin devant.
Enfin la statue Child from Mars (L'Enfant venu de Mars)...que je ne verrai pas, puisque je prends la photo d'une statue qui n'est pas la bonne (cette histoire de photos obligatoires a vraiment déclenché des choses très étrange chez moi !), un coup d'oeil rapide sur l'hôtel, aiguille architecturale de verre au sommet du Jested, il fait zéro, le brouillard et le vent froid nous enveloppent, je n'ai pas envie de trainer ici malgré les lumières attirantes de l'hôtel dans la nuit. Vite nous attaquons ce que nous pensons être la descente - que nenni ! D'autres grimpées, d'autres sommets à rallier et relier. Rien à boire, rien à manger jusqu'à une station service mi-matinée. Des moments sublimes cependant, et la forêt protectrice toujours. Puis un petit passage par l'Allemagne, des amas de rochers monumentaux qui racontent des histoires incroyables, des villages si propres et brossés que je m'y sens mal, des montées abruptes et toutes droites dans la pente, la forêt encore et toujours. La Tchéquie à nouveau, le CP4 à Krasna Lipa après un dernier coup de cul retors, au pied duquel André s'aperçoit que sa pédale gauche est cassée et irréparable, des Time en plus, aucun espoir d'en trouver ici. Il se résout rapidement à faire avec cette avarie, trop courageux mon André.
A Krasna Lipa, bière au soleil enfin, et repas en intérieur en un temps record en toute fin d'après-midi. Quelques compléments de provision à l'épicerie asiatique la plus proche. La première partie de la soirée est des plus agréables, une succession de montées douces aux jambes et de descentes agréables, dans un milieu pastoral puis sylvestre. Un arrêt prolongé un peu plus tard, André a besoin d'effectuer divers préparatifs avant la tombée de la nuit ; mon Curve est équipé d'une lumière qui fonctionne, yeah!
Puis nous nous enfonçons dans la forêt toujours plus avant, une longue descente quelque peu technique et nous voici dans la ville plutôt repoussante de Dolni Poustevna (humidité frigorifiante, centre ville glauque, odeur désagréable et envahissante). Heureusement un peu plus loin nous trouvons un lieu hospitalier de bivouac, à l'abri de l'auvent de l'espace repas de ce qui semble être un centre aéré. Notre plan est de dormir très peu mais de dormir néanmoins, il nous sera impossible d'effectuer les 65 km restants sans prendre de repos, nous en sommes conscients. Le terrain est difficile et qui sait ce que nous réserve la suite ? Nous avons eu jusqu'ici tellement de surprises. Le bivouac est installé, je m'endors très vite à 21h00....puis la voix d'André me parvient de je ne sais où, je comprends rapidement qu'il me faut émerger et abandonner la chaleur bienheureuse de mon duvet et bivvy. Je monnaie une soupe et un café en échange de mon sommeil long d'une heure seulement. Nous levons le camp aux alentours de 23h30, un monotrace qui se cache puis serpente au plus près des troncs d'arbre, et nous voici vite remis en état de vigilance. La nuit est noire et la bruine qui tombe se transforme rapidement en pluie, nous en avons pris l'habitude.
Quelques montées et bientôt nous essayons d'épouser la trace très improbable du Nordkap, piège hallucinant pour les bikepackers effrontés qui s'y risquent la nuit, mais cela nous ne le savions pas.
Ce sera une progression à pied la plupart du temps, avec quelques portages, entre roches et pierres et racines glissantes, et il nous faut jouer à saute-ruisseau en permanence. J'en profite pour donner un bain à la transmission Rohloff de mon Curve - dans l'espoir de ne plus entendre ce cliquetis apparu la veille au soir, après une glissade magistrale dans une profonde fondrière magmatique. Mon Curve redevient aussi silencieux qu'un chat dans la nuit. Les bornes blanches marquées soit d'un C soit d'un D me font subodorer qu'il s'agit là de la ligne frontière entre République tchèque et Allemagne, je me demande combien de temps cela va durer. Presque deux heures je crois. C'est une section d'une beauté incroyable, irréelle, plus encore au creux de la nuit j'imagine, et les moments passés là resteront comme uniques dans mes souvenirs. Il pleut encore, il pleuvra toute la nuit d'ailleurs, une seule option : avancer, pour ne pas sentir le froid et l'humidité. Quelque part une superbe cabane en bois où nous pénétrons pour nous restaurer, sans oser nous attarder - là un Divider qui surgit de la nuit, et qui d'un Z...non, non, ce n'est pas cela, je me trompe d'histoire. N'empêche qu'il nous passe comme un éclair.
A nouveau des parties roulantes, alternance de montées et descentes forestières - et puis un peu avant 4h00 du matin, il me devient de plus en plus impossible de garder les yeux ouverts, il nous faut rapidement trouver un abri, la pluie a encore redoublé. La ville de Sluknov survient à point nommé, nous quittons la trace pour explorer le centre ville et à 4h30 je sombre dans l'encoignure d'un escalier d'accès à un Tesco local, je m'enroule dans mon duvet, un camion livreur arrive et frôle nos vélos, André prend soin de moi, me fait une boisson chaude et prend froid à attendre que je me réveille...Repartis 45 mn plus tard, la fin nous surprendra par sa facilité, et cependant je ne peux m'empêcher d'attendre le coup de grâce, la montée infernale ou la section de poussage/portage démente qui va encore faire reculer la ligne d'arrivée à une heure très incertaine. Mais non, rien de tel, nous nous offrons même le luxe d'un petit déjeuner dans une station service et dégustons sereinement les derniers kilomètres, poursuivis par des nuages menaçants. A 8h20, nous franchissons le portique de la brasserie Kocour (la brasserie du matou !), Jan et Borek et Jiri sont là tous sourires pour nous féliciter chaleureusement, nous montrer où garer nos fidèles destriers, nous emmener à notre cabine couchettes dans un wagon d'un autre temps. Quel accueil ! La douche est délicieuse, la première depuis le 22 septembre. Et c'est l'heure du petit déjeuner dans la grande salle, où nous retrouvons de nombreux Dividers restés un ou plusieurs jours sur le site d'arrivée ; chacun d'entre eux se lève pour venir nous féliciter. Jitka et Katerina sont là, elles m'embrassent avec affection et amitié. Je suis encore un peu abasourdie, n'empêche que cette chaleur humaine si particulière aux membres de la famille bikepacking tchèque est merveilleuse. Je réalise petit à petit que je n'avais encore jamais autant donné sur un vélo...jamais autant reçu non plus. Quelle aventure incroyable que notre Bohemia Divide !
Temps de sommeil : 1h30
Temps de bivouac : 2h10
EPILOGUE à Vansdorf
Le vendredi fut partagé entre sommeil récupérateur, promenade au centre ville, conversations animées et passionnées autour d'une bière ou du repas. Opulence des heures oisives.
Le samedi, Jan nous amena en voiture jusqu'à une ville voisine d'où nous sommes partis en randonnée pédestre, en compagnie de Petr Zitek et Katerina. Ce fut une bien belle journée en leur compagnie. Comme David, Martin, Petr Novak, Thomas, Jitka, Michal, Indian, et comme tant d'autres des Bohemia Dividers, ils sont absolument adorables, plein de joie de vivre, que ce soit au pub ou au fin fond des forêts que la plupart fréquentent assidûment. Tout est simple et joyeux ou calme en leur compagnie, tout coule de source. Et la soirée fut emplie de musique - Jan et Erika avaient prévu un groupe rock rien que pour nous, et fut débordante de rires, de bière brassée sur place et offerte en quantité illimitée, de délicieux plats tchèques, de plaisanteries et de danses endiablées, et aussi bien sûr de discussions bikepacking...what else?
C'est aussi cela la Bohemia Divide, une véritable amitié qui enveloppe tous les participants, et l'art de donner une cohésion faite de partage et de convivialité à un groupe de bikepackers qui souvent sont aussi de grands solitaires.
Jan a su donner une âme forte et résistante à sa Bohemia Divide. Il lui a insufflé ce qu'il est lui-même, un être d'exception. Ainsi que les valeurs fondatrices du bikepacking, celles qui ont présidé au début de cette discipline phénomènale, avec la Great Divide ou la Colorado Trail Race.
Long live your Bohemia Divide, Jan!
Katka, Petr Novak et Petr Zitek : ils incarnent l'esprit fondateur des courses vtt bikepacking, à mes yeux
Et voici André en live, qui nous fait part de son vécu sur la Bohemia Divide :
Et voici le journal de bord et l'album photo de notre voyage en Bohême, sur Polar Steps.