REMARQUE LIMINAIRE
Voilà ...Martial a eu la générosité de me régaler d'un des superbes récits de cyclosportive dont il a le secret et de m'autoriser à publier son texte sur ce blog. Donc en avant, c'est l'heure du goûter, le moment d'une pause dégustation roborative !
Merci à toi, Martial, pour ces mots prêtés.........mis en page à l'ombre tutélaire de Sénèque, Nietzsche et Schopenhauer, tes mentors pour cette Marmotte en prélude à celle de 2009, que nous nous sommes promis d'effectuer ensemble !
Patricia
La Saga de l’Oisans – Episode II – pour toujours
Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles qu’on n’ose pas, c’est parce qu’on n’ose pas qu’elles sont difficiles.
" ooooh sûr qu’il déconne Sénèque, ou alors il parle pas de la marmotte ! "
Nico et Fab ont pris un dossard pour la Marmotte 2008.
Une petite musique s’est mise à tourner dans ma tête (Galibier, les 21 virages, Glandon,Valloire) j’ai beau me trouver toutes les raisons du monde pour ne pas y aller (manque de préparation, santé, activité, soucis) rien n’y fait la ritournelle continue et quand l’envie s’est chevillée au creux de ton ventre comment la refouler, et puis et puis c’est si simple : 3 clics de souris et te voilà, me voilà avec un dossard !
Participer à la Marmotte, bien sûr que c’est une connerie, y a du monde, c’est parfois limite mais voilà c’est la marmotte et sans tout le barum ou un autre jour ça ne serait pas la même chose. Tout ça, ça fait sens aussi, et en cette période impie à souhait on se trouve les chapelles que l’on peut et ma foi celle-là elle est bien jolie….
Les conditions météos sont optimales, dans la troisième vague s’il y a un peu de stress, il n’y a pas trace de cette électricité, de cette tension, de cette nervosité caractéristique des premiers sas. Des turinois, des Barcelonais, un groupe de San Sebastian, des maillots en .nl, l’Europe c’est Nous. Il fait doux, le soleil sera généreux, je suis content d’être là !
8h Descente rapide vers Rochetaillée sur un bitume tout neuf et c’est déjà Allemond et les premières pentes du Glandon dans une pagaille indescriptible. Il faut quelques kilomètres pour que les choses s’organisent un peu, sur la droite ceux qui d’entrée veulent gérer, sur la gauche quelques fusées, au milieu ou en travers ceux pour qui l’altérité n’est même pas un problème. La montée dans la forêt est agréable, si tu regardes bien la végétation te dit à quelle altitude tu es. Nonobstant quelques moteurs c’est une explosion de senteurs, de couleurs ; tous les verts, le bleu du ciel et tous ces maillots bariolés. Nico grimpe facile, un peu rapide peut-être, Fab suit. Magnifique barrage de Grand Maison, les sommets presque à bout de doigts, du vert tapis de alpage où nul arbre ne s’aventure une odeur puissante de vie : vaches – non moutons ! dit Nico, qu’importe le nom de l’animal, ça sent si fort, si vrai, de mon odorat ou de ma vue je ne sais quel sens est le plus en fête.
Enfin le col du Glandon, pas trop dure la montée bien que Fab ait décroché. Bouchon, pieds à terre, passage difficile sur le tapis. Joyeux bordel à 1924m. tant pis pour le ravito. Magnifique descente néanmoins prudente. Certains veulent oublier que la route est ouverte. Fatalement des gadins! en d’autres circonstances la chose serait drôle : un obus décérébré dans un virage à gauche sans visibilité manque de s’encastrer dans une voiture bleue sombre avec gyrophare et sirène hurlante : pour les autorisations je sais pas, pour le rapport ça va l’faire !
De St Etienne de Cuines à St Michel de Maurienne la longue vallée montante ne présente que peu d’intérêt, nous la faisons assez tranquille au milieu d’un conséquent peloton bavard et joyeux. Rapide ravitaillement en eau et c’est le Télégraphe. Dès les premières rampes le ton est donné, la journée sera bien longue pour certains. Le soleil est généreux. En soi ce col n’est pas d’une grande difficulté mais après le Glandon et avant ce qui suit il ne faut surtout pas le négliger et encore moins s’emballer. Il n’y a pas de fort pourcentage, en choisissant bien son braquet cette longue ascension n’en est pas déplaisante. Je n’ai pas dit facile. En bord de route les hauts sapins intensément verts pointent leurs cimes vers le sommet qu’il nous reste à atteindre. Au détour d’un virage, dans une allure saccadée, il grimpe tout concentré dans son effort, juste quelques mots.
C’est d’une jambe et d’un bras que Christian fait la marmotte et du vélo. A Passer à son côté c’est du Nietzsche qui me vient à l’esprit, ce n’est pas du simple "vouloir"c’est de "volonté" qu’il s’agit, volonté de puissance, du ‘sur-humain’ il doit y avoir de ça, je pense
Et maintenant comment faire pour renoncer, comment dire : « j’en peux plus» !!!
Nico dodeline de la tête. Yohan, flamand de son état nous accompagne, nous sommes l’Europe et qu’importe la langue.
Le télégraphe nous met dans un état intermédiaire ; d’attente quand tu es bien, un peu impatient malgré l’inquiétude normale précédant le Galibier, d’angoisse quand dans ces rampes tu es déjà limite. N’imprimant plus l’allure, Nico se laisse décrocher au niveau de mon pédalier, je suis inquiet mais n’en dis rien, encouragements déguisés, beaucoup de jeunes doivent encore apprendre à se forger un moral.
Extrait de Le Gai savoir :
15.
Rouille
Il faut la rouille aussi : l'arme aiguë ne suffit pas!
Autrement on dira toujours de toi : « il est trop jeune »!
Il fait chaud nous allons bientôt sortir de la forêt ;
46.
Jugements des hommes fatigués
Tous les épuisés maudissent le soleil :
Pour eux la valeur des arbres - c'est l'ombre! »
Je ne vois plus Nico, je me relève un peu mais il ne revient pas. Je l’attendrai au ravitaillement des Verneys. Et toi Fab où es-tu ? La fin du télégraphe est toujours un soulagement et la descente qui suit la meilleure chose qui soit à ce moment là. Valloire habillée de soleil est splendide, des vélos bien sûr mais aussi des piétons, quelques sourires.
La première rampe du Galibier est sévère. Ravitaillement des Verneys, c’est bien organisé, il y a peu de monde. Pas de Nico, je pars seul (enfin presque) à l’assaut du Galibier.
Départ en douceur, je sais que ça va être long. Le Galibier, depuis quatre ans je l’ai dans la tête, je le veux ce col.
Etre sur son vélo dans le Galibier c’est toujours quelque chose d’un peu à part, un moment unique et tu as beau avoir autour de toi mille autres pédaleurs, rien n’y fait ce moment là, il n’est qu’à toi. La montée est longue et bizarrement elle se fait plus lente aussi :
16.
Vers les hauteurs
« Comment gravirais-je le mieux la montagne? »
Monte toujours et n'y pense pas!
L’ascension se durcit au fur et à mesure que la durée prend fâcheuse tendance à la dilatation.
J’ai dit à Patricia la Patsionaria des grandes distances, Stakhanoviste de la geste vélocipédique que je serai le seul à grimper le Galibier le sourire aux lèvres, il me faut maintenant m’en souvenir.
17.
Sentence de l'homme fort
Ne demande jamais! A quoi bon gémir!
Prends, je t'en prie, prends toujours!
Le décor est somptueux, grandiose le site.
Ne pas se battre avec la montagne, ne pas tricher. Personne ne gagne, nous ne faisons que passer, passer (si je peux et je pourrai) et rien d’autre. Dans le ciel quelques nuages la température se refroidit sensiblement.
Plan Lachat, sublime décor, ici commence la lutte. je n’ai pas perdu le sourire même si parfois je dois l’appeler un peu plus fort. Mal au ventre, plus rien ne passe liquide ou solide.
Il y a bien longtemps que la musique a déserté mon encéphale ou alors les mots n’y laissent que trop peu de place - tu vois Jean-Charles je ne sais de la variété rien ou presque en tout cas rien ne me vient de ce côté-là ! c’est dans mon silence intérieur que je grimpe, sourire toujours, ne pas se ratatiner sur sa machine, droit et se lever dès que l’on peut.
Ce col est magnifique de tant de beauté que je n’en veux rien perdre. Compter les cailloux comme des gemmes.
J’en prends plein les yeux, j’en prends autant que je peux, "non je ne m’arrêterai pas je n’ai pas mal regarde je souris je ne suis pas à l’agonie vois je continue à monter et sourire (ou presque)" je ne sais si mon cœur va exploser mais je le sens bien vivant, je le sens du mollet au creux du ventre, des entrailles aux méninges. Je passerai !
Nico, Fab vous êtes où ? est-ce dur pour vous aussi ?
Non c’est pas dur, cette folie je l’ai voulue, rien ne m’obligeait, et puis un Rataman il fait trois marmottes d’affilées sans broncher, souviens toi de ce qu’il dit : un objectif après l’autre, là le sommet, juste le sommet. Les derniers kilomètres ne ressemblent en rien à mon précédent passage, je transpire mais j’ai froid, je suis dans le dur. Dans le dur mais tellement content d’être là et même si c’est à l’arrache. 2645M c’est assez haut pour élever ses pensées quoique la roche où posent mes pieds soit toujours à la même distance de mes yeux (peut-être pas tout à fait de ma bouche quand plié en deux j’en profite pour gerber un peu…) 2645m c’est la bonne hauteur pour ressentir quelque chose d’unique.
Par soucis d’économie pour les suivants en haut du Galibier c’est un seul bidon d’eau (je m’en fous de toute façon j’arrive plus à boire), le portable passe pas, où est Nico ? j’ai froid, de gros nuages noirs menacent, tant pis j’y vais !
En plus de quelques gouttes et du vent, une crampe à la cuisse droite dans le Lautaret vient contrarier ma descente. Pas de folies jusqu’au barrage du Chambon et pas un seul coup de pédale non plus. Essayer de boire un peu, pour la bouffe impossible. A bien y regarder cette partie du parcours n’est pas aussi désagréable que ça, superbe la Meije et son glacier.
Soulagement la petite montée du barrage passe bien comme celle de Freney, les jambes tournent à nouveau. A Bourg d’Oisans Pierre est là, il attend Nico qui va jeter l’éponge, il le remontera sur l’Alpe d’Huez. Ah oui c’est vrai l’Alpe d’Huez...
A treize kilomètres du bonheur, treize petits kilomètres…effacer la fatigue et les doutes, ne pas voir les types en travers, ceux qui marchent et les autres allongés sur les parapets, pas plus que ceux qui redescendent. 21 virages, rien du tout, à peine deux par kilomètre. Le bitume rend bien, la pente est forte jusqu’à La Garde mais après rien d’insurmontable. Diviser la difficulté en autant d’étapes que nécessaire. Rechercher, retrouver des sensations agréables. J’aime bien cette ascension. Sans le chercher trop loin ou trop longtemps, le sourire je veux grimper avec, je suis tellement content d’être là, d’en avoir presque terminé que tout en devient plus facile. Peu importe ma vitesse, peu importe tout le reste, là-bas sous la banderole d’arrivée je m’inventerai une petite voix qui me dira : « tu l’as fait Martial, tu l’as fait !! »
Pour toujours
« je viens aujourd’hui parce que cela me plaît »
Ainsi pense celui qui vient pour toujours
Que lui importe ce que pense le monde :
« tu viens trop tôt !;tu viens trop tard ! »
Encore lui ou plutôt Schopenhauer :« ce n’est pas parce qu’elle est belle qu’on désire une chose, c’est parce qu’on la désire qu’elle est belle » et c’est tellement vrai pour la Marmotte.
Une marmotte c’est 174 000 mètres de plaisir et 5000 d’élévation vers une certaine forme de bonheur et pour dérisoire qu’il soit, bien réel malgré tout !
Bien posé sur sa selle turcique, mon hypophyse me cause : « combien de k-endorphines »
En QSP s'il te plaît, en qsp !!!!
8 Juillet 2008.
Ps : Nico, Fab : « vous le ferez les gars, vous le ferez ! »
[Texte : Martial REGALES - Mise en page : Pat - Photos : Wikipedia]